Publié le Mardi 18 octobre 2011 à 12h35.

ArcelorMittal: Mobilisation générale pour sauver l’emploi et la sidérurgie à Liège

C’est toute la région liégeoise qui est en état de choc depuis l’annonce par ArcelorMittal de la fermeture de la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise. L’onde de choc part des hauts-fourneaux, en sommeil depuis plus de deux ans et dont ArcelorMittal vient d’annoncer la fermeture définitive, condamnant ainsi 581 emplois fixes (CDI et CDD) et près de 400 intérimaires.

Mais les effets vont bien au-delà. Pour chaque emploi direct perdu, on s’attend à la perte de deux emplois indirects. Chez les sous-traitants privés d’abord (transport, entretien,….). Mais aussi dans le secteur public (70% du trafic de la gare de grande gare de triage de Kinkempois à Liège sont liés au transport des produits de la sidérurgie). Donc, c’est près de 3.000 emplois qui risquent de passer à la trappe dans les prochains mois.

Mais les effets vont encore au-delà. Ainsi, des communes comme Seraing ou Oupeye vont être touchées brutalement par la perte des taxes versées par ArcelorMittal : au moins 5 millions d’euros par an à Seraing, 3,7 millions à Oupeye (20% des taxes communales d’Oupeye proviennent de l’utilisation du site sidérurgique de Chertal). Avec des effets inévitables sur l’emploi communal, les services à la population,…

Quant à la phase à froid, son avenir est encore moins assuré après l’annonce de la fermeture du chaud. Avec des risques d’une catastrophe d’une ampleur encore plus grande sur toute la région.

Arcelor et Mittal soufflent le chaud et le froid

Depuis trente ans, la sidérurgie liégeoise est en restructuration permanente : constitution au début des années ’80 de Cockerill-Sambre par la fusion avec la sidérurgie carolo ; passage à la fin des années ’90 sous le contrôle du français Usinor ; fusion en 2001 entre Usinor, le luxembourgeois Arbed et l’espagnol Aceralia qui constituent ensemble Arcelor ; absorption d’Arcelor en 2008 par le groupe indo-britannique Mittal, donnant naissance au premier groupe mondial ArcelorMittal.

En janvier 2003 déjà, Arcelor avait annoncé la fermeture de la phase à chaud à Liège (la « phase à chaud » est la première du processus de production : elle assure la transformation du coke et de l’aggloméré en plaques d’acier qui sont ensuite adaptées en bobines ou en autres produits semi-finis dans la « phase à froid »). Le haut-fourneau 6 (HF6) est ainsi mis « sous cocon » dès 2005. Mais la croissance des besoins en acier est telle que Mittal revient sur cette décision. Le 27 février 2008, le haut-fourneau HF6 de Seraing est symboliquement rallumé devant un parterre de ministres wallons épanouis. Mittal en personne promet que les hauts-fourneaux liégeois resteront ouverts au moins jusqu’en 2015 et qu’il va faire de la sidérurgie liégeoise un des sites intégrés (chaud et froid) les plus performants de son groupe mondial.

Mais, six mois plus tard, la crise financière provoque une contraction de l’économie mondiale qui touche directement l’acier. Plus précisément, si la demande reste forte dans les pays émergents (Chine, Inde, Brésil,…), elle chute en Europe et aux USA. Dans cette situation, et en toute bonne logique capitaliste, Mittal concentre son attention et ses investissements sur ses usines dans les pays émergents et met en sommeil une partie de ses installations en Europe.

Quel avenir pour la sidérurgie liégeoise ?

Chez nous, le HF6 est remis sous cocon en octobre 2008, six mois à peine après sa remise en action. Et en mai 2009, c’est au tour du HFB d’Ougrée. Depuis lors, la sidérurgie liégeoise fonctionne au ralenti. Dans l’espoir d’assurer la survie de l’entreprise et le maintien de l’emploi, les syndicats acceptent le gel des salaires et une organisation du travail ultra-flexible. Jusqu’au coup de massue de mercredi qui annonce l’arrêt définitif de toute la phase à chaud de Liège. Aujourd’hui, toutes les belles promesses de Mittal sont enterrées. Seule émerge la loi du profit et de la satisfaction des actionnaires.

On l’a déjà dit : la fermeture du chaud est, en termes d’emploi, une catastrophe en soi pour la région. Mais la phase à froid peut-elle continuer à produire sans phase à chaud dans la même région ? A priori oui, parce que ces entreprises liégeoises sont en pointe de la technologie et tout à fait rentables. Mais elles devront importer de Dunkerque en France les plaques d’acier. Un coût supplémentaire et une dépendance qui risquent de peser lourd sur la compétitivité des produits liégeois. On comprend donc que les syndicats défendent depuis toujours le maintien d’une sidérurgie « intégrée » (chaud + froid) à Liège.

Mittal, un patron pieds nus dans la neige ?

A entendre les dirigeants de Mittal, la situation de l’entreprise est plombée par des divisions européennes qui ne rapportent pas assez. En réalité, Mittal est un groupe qui se porte bien – et même très bien : son chiffre d’affaires mondial a augmenté de 28% en 2010 par rapport à l’année précédente.

En Belgique, le groupe a dégagé l’an dernier un bénéfice de 1,39 milliard d’euros. Sur cette somme, il a payé le montant colossal de… 496 euros d’impôts. Rien d’illégal là-dedans : il a simplement joué au mieux des intérêts notionnels chers à Didier Reynders. Ce n’est pas le seul avantage qu’il a reçu des gouvernements belge et wallon. La région wallonne a provisionné 2000 millions d’euros pour les quotas CO2 (les fameux « droits de polluer » dont la sidérurgie est grande consommatrice) et 110 millions pour les investissements.

Quelle riposte syndicale ?

Même si l’avenir du chaud était en suspens depuis des années, les travailleurs et les syndicats ont été pris de court par l’annonce de la fermeture. D’autant plus qu’au terme d’une semaine de grève à Liège, la direction venait d’accepter de rencontrer les syndicats cette semaine pour discuter de l’avenir industriel du groupe en Belgique… alors que la décision de la fermeture était déjà prise depuis un bon bout de temps !

Les travailleurs sont sous le choc. Des actions spontanées ont été menées jeudi et vendredi devant l’entreprise. Des actions de plus grande envergure devraient avoir lieu en fin de la semaine prochaine. On parle d’une marche entre Seraing et Liège. Les déclarations de solidarité se multiplient dans les entreprises et sur les réseaux sociaux. Il faut donner rapidement un débouché à cette solidarité à travers une manifestation massive qui mette la pression sur le pouvoir politique.

Il est aussi extrêmement important d’organiser la solidarité entre les divers sites du groupe en Belgique et en Europe. ArcelorMittal est en train de fermer des sites non seulement à Liège mais aussi en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Nationaliser, oui mais comment ?

La FGTB a immédiatement mis en avant la nationalisation de la sidérurgie liégeoise, disant très justement que si le gouvernement avait pu trouver 4 milliards en un weekend pour sauver Dexia, il pouvait bien trouver 1 milliard pour la sidérurgie liégeoise.

Mais Marcourt, le ministre (PS) de l’Economie a immédiatement douché leurs espoirs, arguant du fait que l’Europe ne permettait plus un tel rachat par un Etat. Il est clair que ni le gouvernement « olivier » wallon ni le gouvernement Leterme ni la future tripartite de Di Rupo n’ont la moindre envie de se lancer dans un bras de fer avec ArcelorMittal ni avec l’Union Européenne. Et la direction d’ArcelorMittal a dit très clairement qu’elle n’envisageait nullement de vendre une partie de ses installations à des concurrents, quels qu’ils soient. Pour un patron comme Mittal, mieux vaut créer un désert économique sur toute une région que de laisser la porte entrouverte à un concurrent. C’est la logique du capitalisme dans toute son ampleur et toute son horreur.

Sans rachat ni indemnités et sous le contrôle des travailleurs

Pourtant la solution de la nationalisation est la seule aujourd’hui qui permette de sauver l’emploi et d’assurer un contrôle sur ce secteur économique qui reste vital pour la région. Mais pourquoi faudrait-il payer ArcelorMittal pour reprendre le contrôle de la sidérurgie liégeoise, alors que cette entreprise a sucé tout ce qu’elle pouvait, avalant subventions et aides diverses et utilisant jusqu’à la corde tous les moyens de ne pas payer l’impôt ?

La seule solution correcte du point de vue des travailleurs et de la population serait d’imposer une nationalisation sans rachat ni indemnités. Et sous le contrôle des syndicats et des travailleurs, pour éviter qu’une intervention des pouvoirs publics ne soit qu’une opération sans lendemain avant de revendre l’entreprise, en bloc ou par morceaux, à d’autres patrons privés, comme la Région wallonne l’a fait dans les années ’90 après avoir restructuré Cockerill-Sambre à coups de milliards d’argent public et de sacrifices des travailleurs.

Jean Peltier, le 16 octobre 2011.