Le 22 octobre 2017, le président argentin Mauricio Macri était aux anges. Cambiemos (« Changeons »), l’alliance qui l’avait mené à la présidence, remportait les élections intermédiaires (renouvelant la moitié de la Chambre entre deux élections présidentielles). Même s’il ne disposait que d’un tiers des députés, sa victoire sur un péronisme en crise avait été saluée par le capital financier à travers une baisse de quatre points du risque pays de l’Argentine.
Mais il y avait un bémol : une dette publique de 334 milliards de dollars, soit 59 % du PIB. Craignant que les ArgentinEs n’acceptent pas des mesures brutales visant à la réduire, Macri avait opté pour le « gradualisme », en finançant le déficit fiscal avec des emprunts en dollars sur les marchés internationaux, un choix justifié par le faible niveau des taux d’intérêt.
Austérité et dévaluation
Il a cependant interprété sa victoire électorale comme un feu vert pour passer à la vitesse supérieure. En décembre 2017, il a fait passer en force, avec le soutien du péronisme traditionnel (hostile à Cristina Kirchner), une loi réduisant le montant des retraites. Macri en a payé un prix politique fort, avec de grandes mobilisations et la rupture d’une partie de sa base politique dans les couches moyennes.
En mars, le gouvernement s’est trouvé confronté à un autre problème : la Fed (Banque centrale des États-Unis) décidait augmenter ses taux d’intérêt. Une catastrophe pour un pays dont 74 % du déficit fiscal est emprunté en dollars. Le gouvernement décidait alors que, face à l’impossibilité de continuer à s’endetter sur le marché privé, la seule solution était d’en appeler au FMI.
Anticipant ce que seraient ses conditions (dévaluer la monnaie et réduire le déficit), Macri a alors présenté un projet de loi éliminant les aides d’État aux services publics : les tarifs des trains, des bus, de l’électricité et du gaz de la ville de Buenos Aires et du Grand Buenos Aires, où vit 33 % de la population, devraient augmenter de près de 70 %. Mais cette perspective a attisé les craintes d’une inflation redoublée et provoqué la panique : tout le monde s’est mis à acheter des dollars (la monnaie refuge de la petite et grande bourgeoisie argentine), ce qui a entraîné une dévaluation de fait du peso – la monnaie nationale – de 35 %.
Au risque de l’explosion
Le gouvernement se trouve maintenant confronté à un problème pratiquement insoluble. Tous les partis politiques ont déjà les yeux fixés sur la bataille de l’élection présidentielle, qui aura lieu en octobre 2019. Les mesures déjà prises ont délité la base sociale de Cambiemos : selon les sondages, 57 % des Argentins ont une mauvaise ou très mauvaise opinion du président, et 75 % sont contre le fait de demander des prêts au FMI.
Macri a lancé l’idée d’un « Grand pacte national ». Il sait qu’il ne peut faire passer ses mesures qu’avec le soutien du péronisme traditionnel. Et l’une des exigences du FMI est que, quel que soit le vainqueur de la présidentielle de 2019, il s’engage à appliquer les mesures qui seraient accordées. Mais ceux qui aideraient Macri à faire passer ces lois seraient rejetés par le peuple. Dans son éditorial du 20 mai, La Nación, le quotidien porte-parole de la bourgeoisie éclairée, doute que Macri puisse respecter ses engagements auprès du FMI. Il signale un autre élément de la réalité : trois Argentins sur dix vivent déjà en-dessous du seuil de pauvreté. Même si le péronisme traditionnel décidait de se suicider politiquement, les mesures que le gouvernement devrait adopter jetteraient des millions de personnes dans la misère la plus absolue.
On sait d’expérience ce qui peut en résulter. Les évènements de 2001 – le soulèvement populaire connu sous le nom d’Argentinazo – sont encore frais dans les mémoires.
Virginia de la Siega