Publié le Mercredi 16 avril 2025 à 18h00.

Argentine : L’opposition à Milei reprend son souffle

Après de long mois sans qu’un mouvement d’opposition conséquent trouve à s’exprimer dans les rues argentines, la grève interprofessionnelle des 9 et 10 avril (36 heures) et la réalité sociale du pays se sont rappelées au bon souvenir de Milei.

 

Depuis l’abandon par la CGT, principale centrale syndicale argentine, d’une stratégie de confrontation par la grève — la dernière datant de mai 2024 —, la politique antisociale et fascisante de Milei avait en effet pu se déployer sans contrecoup majeur. Les retraitéEs confrontéEs à des conditions de vie de plus en plus inhumaines se réunissaient chaque mercredi mais semblaient isoléEs.

Contre la répression

La répression ordonnée par Bullrich le 12 mars dernier, pour agresser le rassemblement des retraitéEs, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les colères liées à une dégradation massive des conditions matérielles de vie d’une majorité de la population se sont réveillées. Les organisations syndicales, et plus particulièrement la CGT, engagée dans une stratégie de négociation qui ressemblait plutôt à une séance d’humiliation, ont appelé à une grève générale. Dès lors, la mobilisation est montée crescendo : le 19 mars, le rassemblement hebdomadaire des retraitéEs trouvait des soutiens de plus en plus nombreux ; le 24 mars la mobilisation pour la mémoire de la dictature était forte ; le 9 avril, veille de grève, 50 000 personnes se rassemblaient sur la place centrale de Buenos Aires, avec la quasi-totalité de l’arc des forces politiques progressistes et des organisations syndicales et sociales de la capitale.

La grève, notre meilleure arme 

Dès le début de soirée, les premiers retours semblaient tous indiquer que la grève allait être puissante. Ce fut la plus grande depuis l’arrivée de Milei au pouvoir. La plupart des secteurs professionnels structurants ont pris part, de manière majoritaire, à la grève. Dans le transport aérien, plus de 300 vols ont été annulés, les usines aéronautiques ont été à l’arrêt pendant 36 heures, le service portuaire a été interrompu, les trains ont cessé de circuler, les entreprises automobiles et sidérurgiques ont été paralysées, le secteur pétrolier a quasi cessé de fonctionner, les fonctionnaires et les enseignantEs, cibles privilégiées de l’administration Milei, ont largement grossi les rangs des grévistes. L’exemple des travailleurEs du pétrole de Vaca Muerta a opéré comme un symbole : dans ce projet extractiviste et écocide, que Milei brandit comme l’étendard de l’Argentine de demain, les 15 000 salariéEs réunis en assemblée ont voté la grève à l’unanimité.

Premier effet politique, la ministre Bullrich et son protocole répressif, s’opposant le 9 avril à « la caste syndicale qui menace la République », n’a pas osé recourir à la force. Deuxième effet politique, les pertes estimées pour le patronat de ces deux jours de grève se situeraient entre 200 et 880 millions de dollars. Enfin, et ce n’est pas le moindre des effets, les travailleuses et travailleurs d’Argentine ont rappelé au gouvernement d’extrême droite que leur résistance était loin d’être vaincue. 

La gauche néanmoins toujours divisée

Les perspectives n’en restent pas moins floues pour l’opposition à Milei. Cette grève a aussi rappelé la fragmentation du monde du travail argentin : les larges masses de travailleuses et travailleurs informels, les plus précarisées et exploitées, n’étaient que peu présentes. De même, l’agenda de la bureaucratie CGT est trop hétérogène pour garantir un horizon unifiant : entre la préservation de ses « acquis » (et de ses actifs fonciers), les négociations échouées, certaines de ses fédérations optant pour la subordination au pouvoir, les voix en son sein qui défendent une perspective de lutte sont loin d’être hégémoniques. Le péronisme de gauche, de son côté, semble embourbé dans des conflits internes déplorables, pendant que l’extrême gauche reste trop morcelée et bouffie de sectarisme pour peser significativement.

Néanmoins, la misère sociale générée par la politique de Milei continue de s’approfondir. Les prix des denrées alimentaires, des transports et des loyers continuent d’augmenter et le récent méga-prêt du FMI qui ne bénéficiera en rien à la population, ne va faire qu’accroître la colère. 

Elias Vola