Publié le Lundi 16 novembre 2020 à 11h15.

Aux États-Unis, les milices d’extrême droite recrutent des vétérans. Contre ce courant, comment s'organiser ?

Article publié sur le site Truthout en date du 11 novembre 2020

Après quatre ans de Trump, les forces d’extrême droite et les suprémacistes blancs s’enhardissent aux États-Unis. Ancien combattant moi-même, je sais que les vétérans sont loin d’être immunisés contre leurs appels – la machine de guerre conditionne les vétérans à embrasser la suprématie blanche. Car l’armée continue de recruter selon des critères raciaux parmi les communautés de couleur de la classe ouvrière en vue des guerres, essentiellement racistes, qu’elle mène à l’étranger. Ce creuset forge un lien qu’elle retourne contre d’autres.

Tuer un autre être humain est la chose la moins naturelle qui se puisse faire, voilà pourquoi le gouvernement des États-Unis dépense tant de temps et d’énergie pour réunir les moyens qui conduisent les soldats à surmonter le refus de tuer. La formation des soldats doit comporter un endoctrinement raciste pour obtenir d’eux qu’ils tuent. Elle suscite cette « altérisation » de l’ennemi dont témoignent nombre de soldats qui parviennent à tirer sur des combattants et des civils innocents. La plupart des gens sont incapables de tuer à moins d’être portés par une sorte d’impératif moral qui les y conduise. Le racisme est l’un des moyens par lesquels l’armée étatsunienne oblige les soldats à tuer – en déclarant leurs cibles « moins qu’humaines ».

Je l’ai vécu lorsque j’étais soldat. Les peuples d’Afghanistan n’étaient jamais nommés « Afghans ». Ils n’étaient évoqués qu’en des termes extrêmement désobligeants. Nous n’avons jamais envisagé les Afghans sous un jour positif. Nous nous focalisions sur les quelques actes extrêmes et violents que commettait un infime pourcentage de la population afghane. Et bien sûr, nous n’avions aucune connaissance des atrocités infiniment plus importantes commises par l’armée étatsunienne tout au long de l’histoire de ce pays. Notre formation provoquait des ravages.

Au cours de cet été 2020, le Military Times1 a effectué un sondage auprès de soldats d’active. Ils ont défini le suprémacisme blanc comme « une menace pour la sécurité nationale au même titre qu’Al-Qaïda et Daech, et comme un danger nettement plus préoccupant que ceux que représentent la Corée du Nord, l’Afghanistan ou l’Irak ».

Ce même sondage du Military Times révélait que 57% des soldats de couleur avaient personnellement subi un comportement raciste ou suprémaciste blanc. Un tiers de tous les soldats d’active observent des signes d’idéologie suprémaciste ou raciste blanche dans les rangs de l’armée.

Les vétérans rentrant à la maison au terme de leur engagement, souvent plongés dans des situations professionnelles désastreuses – que l’actuelle pandémie de Covid-19 ne fait qu’aggraver – sont des cibles faciles pour les promoteurs de la haine raciale et les milices d’extrême droite. Nous pouvons observer ce phénomène. Les chiffres sont inquiétants. Selon un récent rapport du New York Times (11 septembre 2020), un quart des membres des différentes milices aux États-Unis sont des vétérans.

Les «Oath Keepers»2, une des plus grandes organisations anti-gouvernementale d’extrême droite du pays, comporte des dizaines de milliers de membres selon le Southern Poverty Law Center3. Ils se préparent activement à la guerre civile et recherchent les vétérans qu’ils jugent essentiels à leur organisation.

Et quand on parle des groupes paramilitaires d’extrême droite qui attirent les anciens combattants, les services de police sont les plus importants d’entre eux. Les services de police, comme en témoignent leur soutien massif à Trump et leur ciblage disproportionné des personnes noires et brunes, renforcent l’endoctrinement raciste auquel ces vétérans ont été exposés dans l’armée.

Une recherche entreprise par le Bureau of Labor Statistics montre que les États-Unis comptent deux fois plus de policiers et de gardiens de prison que de travailleurs de l’automobile. Les vétérans représentent 7% de la population, mais 19% de tous les policiers. Ce chiffre illustre combien la décision de s’engager dans la police constitue un choix habituel pour les anciens et anciennes combattants démobilisés.

Toutefois, les troupes en service actif et les anciens combattants ne forment pas un corps homogène. Certains des antiracistes les plus déterminés que je connais sont des vétérans. Des milliers d’entre eux participent à des groupes tels que Veterans for Peace et About Face: Veterans against the war4. Beaucoup s’engagent dans l’armée avec de nobles intentions, croyant défendre la liberté et la démocratie. Eux aussi sont victimes de la machine de guerre et de la propagande étatsuniennes. Confrontés à la réalité quotidienne de l’armée, beaucoup perdent leurs illusions et rentrent dans leurs foyers prêts à partager leurs expériences et à lutter contre l’oppression systémique. Et il y a des centaines de milliers de soldats d’active et de vétérans noirs et bruns.

La gauche devrait s’adresser aux vétérans disposés à rejeter leur endoctrinement. Les vétérans peuvent être incroyablement efficaces dans la lutte contre le suprémacisme blanc, non seulement parce qu’ils ont prouvé qu’ils sont prêts à se sacrifier pour une cause plus grande qu’eux-mêmes, mais aussi parce qu’ils comprennent l’enracinement et la sophistication du suprémacisme blanc dans ce pays, non seulement dans les frontières nationales mais aussi à l’étranger.

Un problème s’affirme : celui consistant à ignorer la minorité croissante d’anciens combattants qui gravitent autour des groupes suprémacistes blancs. Des changements radicaux d’orientation politique doivent être mis en place si nous voulons freiner la croissance de la suprématie blanche chez les vétérans.

S’en prendre à l’impérialisme étatsunien et la lutte contre la suprématie blanche font partie de la même lutte. Nous pouvons défier l’impérialisme américain en offrant des alternatives aux étudiants en âge de fréquenter le lycée qui considèrent l’armée comme leur seule option après l’obtention de leur diplôme. Nous nous battons pour le développement de programmes comme le Green New Deal5, qui fournirait des emplois à des milliers d’anciens combattants de retour au pays, qui sont encore stationnés dans l’une des 800 bases militaires du monde entier. Nous nous organisons pour l’abolition de la dette étudiante6 et pour la gratuité de l’enseignement. Trop d’étudiants en âge d’aller dans l’enseignement supérieur s’engagent dans l’armée parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer l’université. Nous travaillons à réduire les financements de la police, à abolir la police actuelle ainsi que le complexe industriel carcéral – structures qui aspirent les vétérans à la fois comme employés et comme prisonniers.

Ni l’extrême droite ni l’influence qu’elle exerce sur des vétérans ne vont disparaître sous l’administration Biden. Le racisme prospère dans des situations économiques désespérées, et notre système fondé sur le profit qu’approuve Biden avec enthousiasme est incapable de résoudre la crise économique à laquelle ce pays est actuellement confronté.

Une pression organisée de très grande ampleur devra être imposée à la prochaine administration Biden pour avancer si nous espérons voir un jour un changement réel. Si nous échouons à nous unir sur ces questions au cours des quatre années à venir, le décor sera planté pour qu’en 2024 surgisse quelqu’un d’encore plus dangereux que Trump. Une telle personne mobilisera sans aucun doute des sympathisants formés par l’armée.

Traduction par la rédaction d’A l’Encontre

  • 1. The Military Times: cette publication se définit dans les termes suivants: «Les soldats et leurs familles comptent sur MilitaryTimes.com en tant que source indépendante et fiable de nouvelles et d’informations sur les problèmes les plus importants qui affectent leur carrière et leur vie personnelle.» (Réd.)
  • 2. Les Oath Keepers sont un groupe d’extrême droite présent sur l’ensemble des Etats-Unis. Regroupant d’ex-soldats et d’ex-policiers, les Oath Keepers, «les gardiens du serment», ont juré de défendre la Constitution des Etats-Unis. A ce titre, ils prônent la désobéissance à l’égard du gouvernement fédéral qui leur inspire une méfiance sans borne. Oath Keepers a été fondée en 2009 par Elmer Stewart Rhodes, diplômé de la Yale Law School. Ex-parachutiste de l’armée américaine, il a travaillé dans le staff de Ron Paul, un député républicain. En octobre 2020, le journaliste Mike Giglio de The Atlantic a déclaré dans une interview que les Oath Keepers «soutiennent à fond» le président Trump. En juillet 2020, Elmer Stewart Rhodes est intervenu dans une assemblée de vétérans pour déclarer, parlant des mobilisations antiracistes, qu’«Antifa» et d’autres manifestants «sont des insurgés qui vont commettre des actes terroristes». Et que «nous autres vétérans devrons tuer ces jeunes qui mourront en croyant combattre les nazis». (Réd.)
  • 3. Le Southern Poverty Law Center (SPLC) est une association qui se consacre à la promotion et à la pédagogie de la tolérance, et à la surveillance de l’extrême droite et des associations qui cultivent la haine et l’exclusion aux Etats-Unis, ainsi qu’à la lutte contre la haine par le biais des voies légales et de l’éducation du public. En 1979, il a entamé sa lutte contre le Ku Klux Klan et autres groupes suprémacistes blancs. (Réd.)
  • 4. About Face: Veterans against the war se définissent ainsi sur leur site: «Nous sommes des militaires et des vétérans de l’après-11 septembre qui s’organisent pour mettre fin à une politique étrangère de guerre permanente et à l’utilisation d’armes, de tactiques et de valeurs militaires dans les communautés de tout le pays. En tant que personnes connaissant intimement les rouages de la plus grande armée du monde, nous utilisons nos connaissances et nos expériences pour exposer la vérité sur ces conflits à l’étranger et sur la militarisation croissante des États-Unis.» (Réd.)
  • 5. Le Green New Deal constitue un ensemble de projets de lois américains qui vise à lutter contre le changement climatique et les inégalités économiques. Le nom fait référence au New Deal, les initiatives prises par l’administration Franklin D. Roosevelt en réponse à la Grande Dépression. (Réd.)
  • 6. The student debt: en février 2020, on compte aux États-Unis 45 millions d’emprunteurs qui doivent collectivement près de 1600 milliards de dollars de dettes d’études aux États-Unis. La dette d’études est maintenant la deuxième catégorie de dettes de consommation la plus élevée – derrière la seule dette hypothécaire — et plus élevée que les cartes de crédit et les prêts pour achat d’automobiles. (Réd.)