À Liège, la mobilisation contre le géant Alibaba vient de passer un nouveau palier. Lundi 7 février au matin, une petite centaine d’activistes, conduits par le collectif Stop Alibaba & co, sont entrés dans la centrale à béton de Bierset, munis de banderoles et d’armlocks, pour s’enchaîner aux grilles de l’entrée et à la bétonnière. Ils et elles y sont restés de 5h à 16h, sous un soleil glacial, empêchant toute activité pour la journée.
Pourquoi ? Parce que cette centrale constitue le cœur battant d’une frénésie suicidaire : l’extension de l’aéroport de Liège. Depuis le contrat passé avec le géant Alibaba en 2018 (souvent présenté comme l’équivalent chinois d’Amazon), les projets les plus fous s’empilent les uns sur les autres, condamnant jusqu’au dernier brin d’herbe. Il y a, bien sûr, le premier entrepôt d’Alibaba, mis en service en novembre dernier : il recouvre à lui seul 33 000 m², avec l’ambition assumée de quadrupler ce score morbide. Mais il faut aussi citer la nouvelle route qui encercle tout le site, la nouvelle cuve à kérosène (l’ancienne était trop petite, voyez-vous…), et maintenant, le projet d’agrandissement du pipeline, la piste à agrandir… s’arrêteront-ils avant d’avoir artificialisé tous les sols de Wallonie ?
Un projet anti-écologique
Chaque année, Liège Airport se gargarise de ses nouveaux records, qu’il compte en tonnes de marchandises transportées. Mais n’oubliez pas, quand vous recevez votre colis, de mettre le carton dans la poubelle jaune et le plastique dans la poubelle bleue… Une étude publiée par le climatologue Pierre Ozier a même établi qu’à lui tout seul, l’aéroport de Liège a anéanti toutes les réductions de gaz à effet de serre décidées ici et là par la région wallonne entre 2013 et 2018. Cela sans même parler de l’imperméabilisation, qui fait grincer des dents dans une région qui se relève à peine des inondations de cet été, ou des nuisances sonores, qui réveillent d’ores et déjà le voisinage tous les jours, à six heures du matin dans le meilleur des cas. Mais — répondent tous les soutiens d’Alibaba et de ses comparses, les larmes aux yeux — pour cette pauvre petite Wallonie appauvrie et désindustrialisée, le développement économique ne justifie-t-il pas quelques entorses aux engagements pris ?
Alibaba emploie en effet un peu plus de 200 personnes dans son premier entrepôt, et promet d’en employer, « à terme », 900 directement et 3000 indirectement. Des chiffres qu’on nous invite à croire sans poser de questions ; et surtout pas sur la durabilité de ces emplois, ou sur les conditions de travail. Comme toujours, nous sommes priés de bien vouloir écarter ces viles préoccupations, pour nous taire et nous agenouiller en entendant les mots « création d’emplois ». Il y a pourtant une contradiction évidente dans cet argument : puisque les activités d’Alibaba ne répondent qu’à des besoins qui sont déjà comblés, les emplois créés ici ne peuvent qu’en remplacer d’autres là… sauf à réduire le temps de travail, mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour.
Créations d’emplois, vraiment ?
Or, les marchandises qui transitent par l’entrepôt de Liège viennent pour une immense majorité d’Asie, où elles sont produites dans les conditions effroyables qu’on sait – les défenseurs d’Alibaba soutiennent que son implantation à Liège permettra tout autant aux entreprises belges de commercer en Chine, mais partons du principe que nous sommes ici entre gens sérieux. On voit donc mal comment un tel projet pourrait créer plus d’emplois qu’il n’en détruit. Une note d’analyse1 publiée en 2019 par le secrétaire d’État français au numérique, Mounir Mahjoubi — qui n’est pas précisément une figure de proue de l’écosocialisme — montrait même que pour chaque nouvel emploi dans le cybercommerce, deux disparaissaient…
Reste l’argument final, celui de la résignation : « Qu’est-ce que l’économie locale aurait eu comme bénéfices si le hub avait été, et croyez-moi, il y en a qui ont essayé, juste à la frontière hollandaise ou allemande ou encore un peu plus loin à Paris ? L’économie locale n’en aurait pas bénéficié. » pour Jean-Luc Crucke, ancien ministre wallon en charge des aéroports. En effet. Mais croit-il sérieusement qu’en nous opposant au projet, nous demandons simplement à ce qu’il soit décalé dans un pays voisin ? Qu’il se rassure : nous avons toute confiance en la combativité des NéerlandaisES, des AllemandEs et des FrançaisES pour empêcher qu’il ne se fasse chez eux, quand nous l’aurons stoppé ici. Et au besoin, nous viendrons avec plaisir leur donner un petit coup de main.
Le collectif Stop Alibaba & Co nous montre l’exemple avec cette action coup de poing, qui nous donne l’occasion de lui renouveler notre solidarité et notre amitié. Il est temps de combattre tous les forcenés du béton pour ce qu’ils sont : des sauvages, dont les « projets » ne sont ni plus ni moins que de la barbarie. Il est temps de leur faire comprendre que quels qu’en soient les propriétaires sur le papier, la terre qu’ils détruisent, au même titre que l’air qu’ils empoisonnent, ne leur appartient pas. Encore quelques actions comme celle de lundi 7, et le message devrait rapidement être clair.