Les élections législatives anticipées du 13 juin constituent un scrutin de rupture avec un résultat électoral net et contrasté de part et d’autre de la frontière linguistique. Côté francophone, la victoire du PS est sans appel, avec quelque 37 % des voix en Wallonie. La droite libérale recule fortement, les sociaux-chrétiens et le parti écolo stagnent, tandis que l’extrême droite est laminée. Si l’on s’attendait à ce que le PS progresse nettement par rapport au scrutin de 2007 qui l’avait lourdement sanctionné, sa progression par rapport au scrutin régional de 2009 a pu surprendre. La crise capitaliste a détruit des milliers d’emplois. Le discours rassurant du PS sur la défense de la Sécurité sociale et des plus faibles ne pouvait que faire mouche. Il s’est aussi profilé comme dernier recours face à la menace d’une scission du pays, avec son président, Elio Di Rupo, comme « premier ministrable » francophone (traditionnellement, les « Premiers » sont flamands). Cela n’a laissé que peu d’espace à sa gauche. Le Parti du travail de Belgique (PTB, d’origine maoïste) obtient 2 % en Belgique francophone. Le Front des gauches, auquel participait la LCR belge, obtient 1,1 % au Sénat. Côté flamand, le parti nationaliste N-VA a fait plus que confirmer les sondages avec quelque 28 % des voix en Flandre, passant de 7 à 27 députés, ce qui en fait le groupe le plus important à la Chambre, juste devant le PS (26 sièges). La N-VA prend des voix à presque tous les partis flamands. Les sociaux-chrétiens (CD&V), les libéraux et le Vlaams Belang (extrême droite) chutent lourdement. La surenchère communautaire de ces partis a fait le lit de la N-VA et, pour la première fois, les sociaux-chrétiens flamands ne sont plus la première force politique en Flandre. Si la N-VA est, de justesse, le plus grand groupe politique à la Chambre, cela traduit mal la réalité des rapports de forces politiques. En effet, le PS participe au pouvoir depuis 1988 au niveau fédéral comme dans les régions. Il peut compter sur une dizaine de cabinets ministériels dans la négociation à venir ; il a de puissants relais dans les administrations où il a placé ses hommes liges. Et il a surtout des liens étroits avec l’appareil de la FGTB, le syndicat socialiste majoritaire en Wallonie et à Bruxelles. Il conserve aussi des liens avec le SP.a, son équivalent en Flandre, ce qui fait de la « famille socialiste » la première force politique du pays, avec 39 sièges. Le CD&V a perdu les élections mais dispose des mêmes ressources que le PS. Il n’hésitera pas à les mobiliser dans la négociation à venir pour prendre sa revanche sur la N-VA qui en est totalement dépourvue. La démission de la présidente du CD&V risque d’ouvrir la voie à son aile la plus à droite et la plus nationaliste et de distendre ses liens avec la CSC, le syndicat chrétien, majoritaire en Flandre. Cela pourrait permettre une recrudescence des luttes sociales en Flandre contre les mesures d’austérité prônées par la N-VA, dont le programme socio-économique, très à droite et ultra-libéral, heurte de plein fouet le mouvement ouvrier. Nul ne sait encore ce qui sortira des négociations entre le PS et la N-VA pour la formation du nouveau gouvernement, ni à quel rythme. Or le temps presse, la Belgique assume la présidence de l’Union européenne et, comme ailleurs, la bourgeoisie affûte ses plans pour faire payer la crise à la population. En cas de réussite des négociations, la mise en œuvre d’un plan d’austérité drastique soumettra les directions syndicales à de fortes pressions de la base pour entrer en action. En cas d’échec, le pays plongera dans un chaos politique sans précédent, dont la seule issue pourrait bien être une scission du pays, que les capitalistes mettront à profit pour démanteler les principales conquêtes sociales du mouvement ouvrier, à commencer par la Sécurité sociale. Thierry Pierret (direction nationale de la LCR, section belge de la IVe Internationale)