Publié le Mardi 9 juin 2020 à 14h16.

Black Lives Matter : immense succès populaire en Belgique

Paru sur https://www.gaucheanticapitaliste.org

Ce dimanche 7 juin, plusieurs organisations avaient lancé un appel afin de se rassembler dans différentes villes de Belgique. Le point de départ de cet élan était l’envie de manifester la solidarité internationale envers le mouvement antiraciste de masse autour de Black Lives Matter aux États-Unis qui a pris les rues du pays depuis le meurtre policier de Georges Floyd. Ces appels spontanés (souvent de la part de personnes qui n’avaient jamais organisé de manifestation/rassemblement) ont parfois suscité de la crainte ou des tensions, par exemple autour du fait que ça devait être l’occasion de dénoncer le racisme, la violence et les abus policiers, les homicides de la police,…en Belgique aussi. C’est finalement grâce à des réunions unitaires et à un impressionnant travail politique de collectifs et associations antiracistes et de personnes noires et afro-descendantes qu’une ligne s’est dégagée pour permettre que ces rassemblement soient de véritables succès.

Vidéo de la manifestation : https://www.facebook.com/gaucheanticapitaliste/videos/320612492265640/

Près de 1.200 personnes se sont donc retrouvées à Anvers sur la Steenplein, 750 autres dans le parc Albert à Gand et 200 personnes ont participé à un sit-in à Hasselt. À Bruxelles, c’est plus de 12.000 personnes qui se sont rassemblé.e.s Place Poelaert. Les prises de paroles ont été nombreuses : de la part des personnes sans-papiers pour réclamer la régularisation, des familles de victimes d’homicides policiers qui réclamaient justice, des militant.e.s antiracistes, des militant.e.s décoloniaux, …Nombre d’orateurs/trices à Bruxelles ont dénoncé le déni des crimes du colonialisme belge (les mains coupées, le rôle de Léopold II, le pillage du caoutchouc et d’autres matières premières, la destruction de villages, l’esclavage, etc). Iels ont appelé à décoloniser les livres scolaires et les espaces publics.

La foule était multiculturelle et mixte du point de vue du genre. Il y avait énormément de jeunes et beaucoup de manifestant.e.s arboraient, comme lors des manifestations pour le climat, des panneaux avec des slogans antiracistes, féministes, ou pour les droits des personnes LGBTQI+, … Il était évident que les personnes présentes à ce rassemblement ne souhaitaient pas uniquement écouter mais que chacun.e souhaitait apporter sa contribution politique au mouvement. Le plus populaire était sans conteste « Black Lives Matter » et « Je ne sais plus respirer ». On pouvait aussi lire : « Les droits humains ne sont pas des privilèges », «  Le silence des blancs est aussi de la violence », « Le racisme est une pandémie, soyez le vaccin », « Les cow-boys au cinéma, pas dans les commissariats », etc… Certains slogans exprimaient une vision radicale : « Pas de justice, pas de paix », « Police partout, Justice nulle part », « Police assassins», « Justice pour Floyd, Mehdi, Adil, Mawda, Semira, … et tous les autres ».

Les manifestant.e.s et les organisateur/trices avaient bien conscience que l’épidémie n’est pas encore éteinte et de nombreux masques ont été distribués pour garantir un maximum de sécurité. Si la police de Philippe Close avait autorisé une manifestation en cortège, les distances de sécurité auraient également pu être respectées. La répression des luttes n’est pas bonne pour notre santé. Il ne fait aucun doute que nous aurions été bien plus encore sans cette épidémie.

La difficulté, qui a pu susciter des tensions dans les jours précédents, résidait dans l’importance du soutien à offrir à l’auto-organisation des personnes noires et afrodescendantes, rassemblées dans un moment historique, tout en permettant également un rassemblement plus large en solidarité avec toutes les victimes de violences policières et des différents racismes, le tout dans un contexte de nombreux messages circulant en instantané sur les réseaux sociaux. L’absence de la famille de Mehdi Bouda, un jeune bruxellois tué par la police l’été dernier, témoignait de cette difficulté. Les organisateurs/rices, qui avaient finalement inclus l’ensemble des violences policières et des discriminations dans leur plateforme, ont également lu un texte écrit par la famille de Mehdi, un moment symbolique fort.

Des convergences ont commencé à se construire en préparation de ce rassemblement et c’est extrêmement important. Malgré les difficultés d’organisation, c’est bien toutes les communautés qui se sont rassemblées hier pour dénoncer tous les racismes : négrophobie, islamophobie, antisémitisme, romaphobie, racisme anti-asiatique,… Pour gagner, la lutte antiraciste aura besoin de rassembler toutes les communautés touchées, dans le respect de l’autonomie des luttes spécifiques contre ces différentes formes de racisme, et en reliant ces luttes à la lutte contre le capitalisme, qui a besoin du racisme pour fonctionner1.

 

Provocations policières

Nous le savions avant d’arriver, la police n’aime pas la gauche, déteste les manifestant.e.s et déteste les dénonciations de violences policières. À Bruxelles, quelques provocations (des jeunes racisé.e.s ont été obligé.e.s de sortir du métro avant d’arriver à la bonne station, des camarades ont été provoqué.e.s par la police, …) avaient commencé avant la manifestation mais personne n’est tombé dans le piège. À la fin de la manifestation, les organisateurs/rices ont annoncé que les accès vers le rond-point Louise (le plus simple pour prendre le métro) étaient fermés. Seul point de sortie possible, la rue menant vers la Place Royale. C’est donc une manifestation spontanée qui s’est dirigée vers cette place et qui s’est retrouvée nez à nez face à un cordon policier et chevaux de frises protégeant la “zone neutre”2. Un hasard ?

Quelques minutes après, ce sont plusieurs camionnettes de police qui ont traversé la foule à toute allure avec les sirènes hurlantes sous l’indignation générale et les huées. Cette colère a provoqué un mouvement de panique. La tension était palpable et les esprits se sont échauffés suite à ces provocations. Comment contenir la colère de ces jeunes venu.e.s manifester pacifiquement, qui sont quotidiennement harcelé.e.s par la police et qui, encore une fois, ont dû subir des provocations de la part de la police qui a tout fait pour faire monter la tension ? Des jeunes privés de tout et qui sortent de plusieurs mois de confinement dans des conditions extrêmement difficiles. Nous devons refuser la démonisation de ces jeunes, voulue par la police et l’extrême-droite. Nous comprenons leur colère et nous soutenons leurs droits face à la répression d’Etat et aux amendes et condamnations qui risquent de pleuvoir.

Les violences et émeutes qui ont suivi ne sont que la conséquence d’une société raciste et extrêmement inégalitaire, défendue par la police. L’évènement d’hier c’était ce mouvement massif et politisé d’une jeunesse révoltée. La société du spectacle favorise la circulation des images des émeutes plutôt que les discours prononcés lors du rassemblement : refusons de tomber dans le panneau. Autre signe que la police voulait ternir l’image du rassemblement : cette vidéo d’un journaliste qui tente de filmer une arrestation d’une personne ventre à terre avec deux policiers qui posent un genou sur la personne arrêtée (une image qui nous rappelle celle de Georges Floyd). Le journaliste est directement agressé verbalement par un policier qui l’empêche de filmer et qui en vient également aux agressions physiques en le repoussant.

On se rappelle pourtant que la police diffusait elle-même des images d’arrestations à Anderlecht il y a quelques jours3. On remarque donc que la presse et les citoyen.ne.s sont empêché.e.s de filmer lorsque cela ne convient pas à la police. Filmer est pourtant un droit.

Nous découvrons également un témoignage de Mounaime, 19 ans, tabassé par la police dans une camionnette par 5 policiers cagoulés4. Nous exigeons que la lumière soit faite sur cette violence et que la justice soit rendue.

À Anvers (ville dont Bart De Wever est bourgmestre), entre 100 et 150 personnes ont été arrêté.e.s sous prétexte qu’iels ne respectaient pas les distance de sécurité…pour être entassé.e.s dans des camionnettes. Iels ont été libéré.e.s dans la nuit avec une amende à payer de 250€.

 

La vague antiraciste n’en est qu’à ses débuts

Depuis plusieurs décennies, en Belgique comme dans nombreux pays, la lutte antiraciste peinait à gagner une échelle de masse. Les politiciens bourgeois ont joué la carte du racisme pour maintenir leur domination idéologique. Malgré les tentatives de la police et des libéraux de décrédibiliser le mouvement, ce qui s’est passé dimanche dernier était une étape importante qui a vu l’auto-organisation et la collaboration d’organisations noires, décoloniales, antiracistes, tout ça avec l’appui et la présence de membres du CCIB5, de l’UPJB6, d’organisation pour les droits humains, d’organisations de gauche et même (trop peu) syndicales…

Un des défis pour l’avenir est celle de la construction d’un mouvement large de lutte contre les violences/abus policiers, questionnant l’institution policière elle-même, en intégrant la lutte contre le racisme, contre le patriarcat, contre la LGBT-phobie,… De même, le point d’appui des convergences entre collectifs antiracistes composés de personnes noires amènera sans doute de nouvelles mobilisations sur les questions de négrophobie. Ce mouvement est appelé à se développer et à faire émerger des revendications concrètes qui pourront continuer à mobiliser des milliers de personnes dans un futur proche.

Les militant.e.s et affilié.e.s des syndicats, le cœur de la classe travailleuse organisée en Belgique, doivent rejoindre ce mouvement pour les droits de tou.te.s les travailleurs/euses et nos droits démocratiques car la police s’attaque régulièrement (légalement ou non) à nos droits de manifester, notre droit de grève, nos droits d’informer, … Ils doivent le faire parce que la jeunesse plurielle qui s’est mobilisée hier sera l’un des moteurs des luttes à venir et enfin parce que la classe travailleuse ne peut pas gagner en laissant des centaines de milliers d’entre nous être écrasés par leur assignation raciale ou religieuse. La Gauche anticapitaliste continuera à soutenir ces combats du mieux possible.

Après l’une des plus grandes manifestations antiracistes de ce siècle en Belgique, tout espoir est permis.