Entretien. Taliria Petrone est une militante brésilienne, élue récemment députée au Parlement fédéral pour le Parti socialisme et liberté (PSoL). Elle était une camarade de lutte de Marielle Franco, conseillère communale du PSoL assassinée le 14 mars 2018 avec son chauffeur Anderson Gomes. Extraits d’une interview réalisée par nos camarades de la Gauche anticapitaliste en Belgique.
Que signifie aujourd’hui, au Brésil, être une femme noire engagée en politique et députée fédérale pour le PSoL ?
La politique est un non-lieu pour nous, parce qu’elle touche à deux choses qui nous ont été niées tout au long de l’histoire. La politique c’est le pouvoir et le pouvoir n’a jamais été pour nous, femmes noires. La politique c’est aussi occuper l’espace public, et historiquement cet espace public non plus n’a jamais été pour les femmes noires. Tout cela dans un pays qui a été un des derniers à abolir l’esclavage et qui a développé une logique patriarcale et un fondamentalisme religieux, qui sont des composantes de la colonisation. […]
Après l’assassinat politique de Marielle, le besoin d’avoir des femmes noires qui occupent le Parlement est devenu plus urgent que jamais. Marielle était une femme noire, lesbienne, issue des favelas, socialiste, mère… Elle amenait tout ça au Parlement et elle a été victime d’un crime politique d’État. Cela provoque chez nous de la peur mais aussi la conviction que nous devons, et que nous allons, continuer à occuper toujours plus les espaces du pouvoir. Parce que nous sommes la majorité de la population, nous les femmes noires du Brésil. Et parce que nous voulons faire autre chose du pouvoir, le collectiviser, le rendre plus horizontal et le rendre à cette majorité de la population.
Qu’est-ce qui a changé depuis l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro ?
[…] Le gouvernement de Bolsonaro a trois caractéristiques très graves : c’est un gouvernement néolibéral et très autoritaire – il a le plus grand nombre de militaires depuis de la dictature ; et il combine ces deux caractéristiques avec une « morale » basée sur le fondamentalisme religieux. Durant ces deux premiers mois de gouvernement, on a pu observer des attaques sur trois terrains principaux : le gel pour 20 ans des investissements dans la santé, l’éducation et les aides sociales ; un programme de privatisations et de flexibilisation des lois du travail ; et la volonté d’en finir avec les retraites (en augmentant l’âge de la retraite et en allant vers un système à capitalisation privée).
Pour maintenir cette expansion du capital et du secteur privé, pour garantir cet État minimum en ce qui concerne les droits, Bolsonaro élargit l’État répressif. Au Brésil, tous les jours, 153 personnes sont assassinées (c’est l’équivalent d’un Boeing 737 qui s’écrase tous les jours). Parmi ces personnes assassinées, au moins un tiers le sont par l’État. Tous les ans, 30 000 jeunes sont assassinéEs ; parmi lesquels 77 % sont de jeunes noirs. […] Et cette réalité ne fera qu’empirer avec les mesures du gouvernement Bolsonaro : le nouveau paquet « anticrime » du ministre Sergio Moro, qui propose de légaliser les assassinats commis par la police – les enquêtes ne seront plus nécessaires. Ainsi que la proposition de créer un régime de « sécurité maximale » (jusqu’à 720 jours d’isolement possibles) pour les leaders de cuadras [gangs] et qui pourra s’appliquer avant jugement. N’importe quel militant pourrait y être soumis. […]
La démocratie brésilienne est en danger et la solidarité internationale est très importante pour que nous puissions continuer notre résistance. Il est important de rendre visible les graves actions du gouvernement et de continuer à les dénoncer devant toutes les organisations internationales. […]
Propos recueillis par Sébastien Brulez
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