Publié le Mercredi 18 mai 2016 à 11h04.

Brésil : Un enjeu majeur

Jeudi 12 mai, le vice-président Michel Temer a pris ses fonctions, tout d’abord comme intérimaire (le Sénat dispose de 180 jours pour juger Dilma Rousseff). Selon les sondages, il commence en étant aussi impopulaire que Dilma Rousseff a fini...

Soit dit en passant, Dilma Rousseff avait récupéré une partie de sa popularité au cours des dernières semaines (sûrement par solidarité face à une procédure de mise en accusation perçue comme illégitime), bien qu’encore rejetée par la majorité de la population.« Gaffes » réactionnaires

En outre, Temer a commencé en faisant des gaffes : parmi les 23 ministres nommés, il n’y a aucune femme (ce qui n’a pas eu lieu au Brésil depuis 40 ans), et pas un seul Noir... Il y a aussi plusieurs ministres sous le coup d’enquêtes pour corruption : inévitable, compte tenu du profil des forces politiques qui soutiennent le vice-président. La réduction du nombre de ministères, le point clé dans l’annonce de « l’austérité » a eu aussi plusieurs aspects malheureux : le plus critiqué est la mise en sommeil du ministère de la Culture (artistes et intellectuels, y compris des partisans du nouveau gouvernement ont protesté), mais il y a des cas encore pires. Les secrétariats d’État de l’Égalité raciale, des Femmes et des Droits de l’homme ont perdu leur statut et ont été incorporés au ministère de la Justice, ministère livré à un avocat clairement de droite, adversaire notoire des droits de l’homme...

D’autre part, plusieurs des ministres de Temer ont été également ministres de Lula et de Dilma Rousseff. Il fallait s’y attendre : le gouvernement est formé par des partis qui étaient parties prenantes des gouvernements Lula et Rousseff, à l’exclusion de son aile la plus à gauche (le PT, PCdoB et PDT), avec en plus les principaux partis qui étaient jusque-là dans l’opposition de droite (PSDB et DEM). Le gouvernement Temer étant très à droite, cela en dit long sur la nature ambiguë des gouvernements PT précédents.Des mobilisations politiques

Il y a actuellement beaucoup de manifestations pour répudier ce nouveau (et très vieux) gouvernement, des centaines, des milliers de personnes dans la rue à l’appel en grande partie des réseaux sociaux. Cela se combine avec des mobilisations déjà en cours, et qui n’ont pas de relation directe avec le changement de gouvernement fédéral. Les plus importantes sont les occupations des écoles menées par des lycéenEs contre les coupes budgétaires dans l’éducation. La politisation de l’ensemble de la société a considérablement augmenté au cours des dernières semaines.

De plus, il est certain qu’en plus de faire face à une résistance sociale le gouvernement Temer aura également de nombreux problèmes internes. Le ministre des Finances (qui était président de la Banque centrale sous Lula...) a annoncé la nécessité d’augmenter les impôts, mais il rencontre l’opposition des entrepreneurs, des syndicalistes de droite qui ont soutenu la mise en accusation de Rousseff, et même des difficultés avec des députés préoccupés par les prochaines élections municipales en octobre. La nature même de la coalition qui soutient Temer rend plus difficile l’approbation de mesures impopulaires.Il n’est donc pas garanti que Temer pourra mettre en œuvre l’entièreté de son programme d’austérité. Et s’il réussit, les effets sont difficiles à prévoir. Comme il est souvent arrivé dans des pays souffrant d’une grave récession, l’austérité peut exacerber les problèmes qu’elle était supposée corriger...

Le peuple doit décider

Voici donc le tableau d’ensemble d’un gouvernement néolibéral dur qui tente de s’affirmer... et d’une résistance qui grandit. La répression des manifestations tend à s’accroître (comme celle qui a touché les lycéenEs). Beaucoup de choses sont en jeu : la consolidation du gouvernement Temer représenterait une défaite majeure, un changement radical dans le rapport de forces entre les classes au détriment des couches populaires.

Par conséquent, il faut se mobiliser contre tous les attaques du gouvernement sur la question des droits sociaux, à tous les niveaux, et surtout contre les mesures qui cherchent à faire peser sur le peuple les coûts de la crise, tout en luttant contre le gouvernement Temer sur le plan politique. Devant l’évidente illégitimité de ce gouvernement, devant l’usure croissante d’un Congrès dans lequel plus de la moitié des députés sont sous le coup d’enquêtes pour corruption, l’argument selon lequel le peuple doit se manifester est très fort.

Bien qu’elle ne fasse pas encore consensus à gauche, la proposition qui monte en puissance est celle d’une campagne pour que le peuple décide du présent et de l’avenir politique du pays : par le biais d’un référendum populaire sur la tenue de nouvelles élections générales, et avec de nouvelles règles électorales.Temer dehors !

De Sao Paulo, João Machado