Depuis le référendum du 23 juin 2016, le gouvernement anglais n’avait guère précisé ses intentions quant à sa vision du Brexit. La dernière semaine a marqué le début de la clarification : la droite conservatrice accentue son offensive pro-patronale et anti-immigrés.
Le temps mis à commencer à clarifier la position britannique s’explique fondamentalement par les hésitations du gouvernement. Il y a, bien sûr, la volonté d’amener préalablement les membres de l’UE (Union européenne), à commencer par l’Allemagne et la France, à dévoiler leur vision de la négociation. Mais ce n’est pas l’essentiel : le résultat du référendum ne correspondait pas à ce que souhaitaient les secteurs dominants du capital britannique, d’où la nécessité pour Theresa May, la Première ministre, de se concerter avec les différents secteurs de la bourgeoisie et d’harmoniser les positions au sein de son propre parti conservateur.
Le 17 janvier, elle a donc dévoilé ses batteries. Tout d’abord, Theresa May entend mettre en pratique un des slogans nationalistes de la campagne « Take back control » (« Reprendre le contrôle »), c’est-à-dire la fin des règles et juridictions européennes. Ensuite, elle entend clairement en terminer avec la liberté de l’immigration entre l’Europe et le Royaume-Uni et, comme les gouvernements européens lui ont signifié qu’ils n’entendaient pas aller plus loin que les concessions faites à son prédécesseur avant le référendum (limitation des droits sociaux des nouveaux immigrantEs), elle annonce la sortie non seulement du marché unique européen mais aussi de l’union douanière. Elle souhaite négocier de nouveaux accords commerciaux avec l’UE et le reste du monde (Trump a déjà clamé qu’il y était disposé...).
Fixer le nouveau cadre de fonctionnement du capital
Theresa May est confortée par le fait que la catastrophe économique immédiate annoncée par les opposants au Brexit (effondrement de la livre sterling, récession) ne s’est pas produite. Il s’agit pour elle de fixer le nouveau cadre de fonctionnement du capitalisme en Grande-Bretagne, notamment de préserver le rôle central de la finance britannique et de demeurer attractif pour les investissements étrangers. Mais ce n’est pas simple. Ainsi elle agite la perspective de baisse massive des impôts sur les entreprises pour attirer les investissements, et dans le même temps, elle a présenté une nouvelle stratégie de modernisation de l’industrie, de soutien à la recherche et de développement des régions en difficulté.
Elle semble donc adopter une stratégie d’intervention de l’État : « Nous ne pouvons laisser les forces du marché international agir seules ou juste compter sur un accroissement de la prospérité générale » a-t-elle précisé. Tout cela montre bien que les gouvernements, même les plus conservateurs, sont prêts à des accommodements avec leur libéralisme quand cela répond aux intérêts capitalistes...
Autre question, celle du positionnement militaire de la Grande-Bretagne. «Nous continuerons à travailler de manière rapprochée avec nos alliés européens sur les questions diplomatiques et la Défense.» Le Royaume-Uni ne peut plus s’autoriser financièrement à disposer d’une armée entièrement autonome et, malgré les déclarations d’amour de Trump, celui-ci est un partenaire incertain qui menace de réduire son implication dans l’Otan.
Enfin, pour Theresa May, il s’agit de rassurer les Écossais et les Irlandais du Nord qui avaient voté contre le Brexit : « Nous trouverons une solution pratique pour permettre le maintien d’une zone de voyage commune avec la république d’Irlande ».
Une gauche désorientée et divisée
La gauche est en difficulté face à un Brexit dont les conservateurs maîtrisent le processus. Le parti travailliste apparaît désorienté et, bien que traditionnellement plutôt pro-européen, soucieux de ne pas se couper de la fraction de l’électorat populaire qui a voté pour le Brexit. Jeremy Corbyn a affirmé que « Ce que nous ne voulons pas, c’est que la Grande-Bretagne devienne une économie d’aubaine aux portes de l’Europe abaissant l’impôt sur les sociétés et encourageant les bas salaires », mais ses déclarations sur l’immigration peuvent marquer un tournant dangereux. Le dirigeant du syndicat Unite, Len McCluskey, va même jusqu’à détourner des citations de Marx pour affirmer que le contrôle de l’immigration peut être en faveur des travailleurs...
À l’extrême gauche, les divergences de la campagne référendaire perdurent. Ainsi, contrairement au SWP (qui avait défendu la sortie de l’Union européenne), Left Unity (partisan du « Remain ») dénonce à nouveau la sortie du marché unique. Une convergence reste possible sur la bataille pour les droits des migrantEs. Avec le soutien aux grèves, ce serait effectivement la priorité...
Henri Wilno