Publié le Mercredi 7 avril 2021 à 16h03.

Crise sanitaire et politico-militaire au Brésil: l'ombre d'un nouveau coup d'État ?

Alors que son impopularité va croissant depuis le début de la crise sanitaire, que le Brésil battait en ce mois de mars le triste record de décès journaliers du covid (3600 décès pour la seule journée du 30 mars), que l'inflation continue de faire chuter le cours du réal et que le taux de chômage, de 13,5%, est le plus élevé de l'histoire du pays, le président du Brésil Jaïr Bolsonaro semble prêt à prendre toutes les mesures les plus autoritaires pour se maintenir au pouvoir. La mauvaise gestion de la crise sanitaire est d'une ampleur telle que le président encourt déjà plusieurs procès en destitution. Avertis de la nostalgie assumée de ses militants pour la dictature militaire, les analystes brésiliens se questionnent aujourd'hui sur la possibilité d'une tentative de coup d'État.

Une crise politico-militaire sans précédent depuis la fin de la dictature

Lundi 29 mars, le président décide de procéder à un remaniement du gouvernement, et remplace par affinité six ministres. Le lendemain, à l'annonce du départ de Fernando Azevedo e Silva, ministre de la Defense, les chefs des trois forces de l'armée de terre, de l'air et de la marine brésilienne démissionnent, en signe de protestation contre ce qu'ils considèrent être une entrave à la neutralité politique des forces armées et une tentative du président de renforcer son contrôle sur l'armée. Cette triple démission les fait rentrer dans l'histoire du Brésil : c’est la première fois, depuis la fin de la dictature militaire (1964-1988), que pareille crise politico-militaire frappe le pays. 

Dénonçant les critiques sur sa gestion catastrophique de la crise sanitaire, y compris celles venues du Parlement et du Congrès, Bolsonaro tente, par ce remaniement, de se rapprocher de la tranche la plus radicale de son électorat. Et les analystes brésiliens de s'interroger : le président est-il en train d'établir les bases structurelles pour rendre possible un coup d'État ?

Quand un président incite la police à l'insurrection contre les mesures sanitaires

Bolsonaro n'en est pas à sa première tentative d'interférer avec la neutralité politique supposée des institutions. Le 28 mars 2021, le policier Wesley Soares était exécuté par la police militaire au cours d'une apparente crise psychotique, tirant en l’air et criant son opposition aux mesures sanitaires imposées par le gouverneur de la région de Bahia. L'évènement a aussitôt été récupéré par l'électorat bolsonariste et par le président lui-même, qui a suggéré à certains de ses partisans policiers de se soulever contre le gouverneur Rui Cista (membre du Parti travailliste) et contre les mesures sanitaires qu'il applique (couvre-feu, fermeture des commerces non-nécessaires...). Une incitation à la désobéissance qui s’avère être anticonstitutionnelle, en vertu de l'article 1a de la Constitution de 1988.

Des projets de loi autoritaires

Le 31 mars, le député, militaire et partisan indéfectible de Bolsonaro à l'ironique nom de Victor Hugo (PSL-GO, partie d'extrême droite) remettait à la Chambre des députés un projet de loi visant à étendre les pouvoirs du président durant la pandémie afin d'empêcher les décrets de confinement des gouverneurs d'États. Un état dit « de défense » (et non « état d’urgence », réservé au Brésil pour les situations de guerre), justifié par la crise sanitaire, afin d'empêcher les gouverneurs d'appliquer les mesures sanitaires qui visent à limiter l’hécatombe : on croit rêver, et pourtant... 

Entre autres, le projet de loi établit que le chef de l'exécutif aura autorité à réquisitionner et occuper les biens et services, à convoquer civils et militaires pour motifs déterminés par le gouvernement fédéral, à contrôler les polices militaires des État (qui relèvent jusqu'à présent de l'autorité des États, donc des gouverneurs, et non du gouvernement fédéral). Le projet de loi, durement critiqué par l'opposition, a été rejeté.

Le 19 mars, le président avait évoqué la possibilité de déclarer un état d'urgence, par le biais duquel les pouvoirs législatifs et judiciaires seraient supprimés au profit du pouvoir du chef de l'État. Le président du Tribunal Suprême Luix Fux avait alors condamné les propos du président en les déclarant anticonstitutionnels.

Cette succession de déclarations et mesures autoritaires démontre clairement l'inquiétude de Jaïr Bolsonaro quant aux élections de 2022. En effet, plus tôt au cours du mois de mars, le Brésil a connu un revirement politique de très grande ampleur avec l'annulation du procès contre Luis Inacio da Silva (président du Brésil de 2003 à 2011, candidat du PT). Lula, finalement innocenté d'un procès complètement partiel et biaisé qui dure depuis 2015, a vu ses droits politiques restitués, et s'est présenté comme candidat à la prochaine élection présidentielle.