Le 6 avril, Erdogan affirmait publiquement aux cadres de son parti qu’il n’y aurait pas d’élections anticipées et que les élections auraient lieu en mars 2019. Avant de se dédire.
Moins de deux semaines après la première annonce d’Erdogan, le partenaire de sa nouvelle « alliance » (ou plutôt son complice), le leader du parti nationaliste d’extrême droite MHP Bahçeli, déclarait qu’il devrait y avoir des élections anticipées pour la présidence et le Parlement. Immédiatement après, la nouvelle date des élections était annoncée : le 24 juin, soit deux mois plus tard. MHP et AKP (le parti d’Erdogan), sont dans une relation très étroite depuis quelque temps maintenant, après avoir formé une sorte de coalition appelée « cumhur ittifakı » (Alliance publique). Ce nouveau front nationaliste est aussi le principal défenseur de la guerre à Afrin au nord de la Syrie et de toute la rhétorique ultra-nationaliste déversée sur le pays.
Une économie qui se porte mal
Alors que la date des élections est déjà fixée, il n’y a toujours pas de législation sur la façon dont elles seront organisées. Par exemple, on ne sait toujours pas comment quelqu’un peut être candidat à la présidence. Pour être candidat, une personne a en effet besoin de 100 000 signatures, mais il n’y a toujours pas de réglementation législative sur la façon de recueillir ces signatures, que ce soit par l’intermédiaire d’un notaire ou simplement par des signatures sur un formulaire, etc.
Pourquoi Erdogan a-t-il décidé une date d’élections si proche ? Il y a beaucoup d’avis différents à ce sujet. Premièrement, il est évident que l’économie du pays ne va pas bien. En mars 2018, la livre turque a été la monnaie qui a perdu le plus de valeur par rapport au dollar US parmi les devises des économies émergentes. Cette perte de valeur s’est même accélérée en avril.
La bourgeoisie turque dépend fortement de la dette extérieure et les taux d’intérêt pour les capitaux étrangers deviennent de plus en plus élevés. La dette extérieure du secteur privé a atteint 247 milliards de dollars US, parmi lesquels 123 milliards sont à court terme, ce qui signifie qu’ils doivent être payés rapidement, alors que la monnaie est faible et que les taux d’intérêt de la dette extérieure deviennent plus élevés. Cela crée un grand risque pour les capitalistes. Au cours du dernier mois, on a commencé à entendre des informations au sujet de capitalistes, de plus en plus nombreux, vendant leurs avoirs (ou une partie de leurs avoirs) et envoyant leur argent à l’étranger par divers subterfuges. Récemment, un travailleur s’est immolé devant le Parlement en criant « Je ne peux pas joindre les deux bouts. » Et ce n’est pas un exemple isolé : dans les journaux, on peut trouver des nouvelles concernant des travailleurEs qui se suicident, souvent à cause de misère économique. Mais malheureusement, il n’y a pas de véritable alternative politique en Turquie pour exprimer les revendications et les griefs de ces travailleurEs.
Contexte ultra-nationaliste
Il est donc clair que l’AKP veut organiser les élections avant que les effets de la crise économique ne s’amplifient. Avec la guerre à Afrin, l’AKP et son nouveau partenaire MHP ont créé un environnement extrêmement nationaliste dans le pays. Pendant l’opération militaire, toutes les chaînes de télévision utilisaient des animations photo et vidéo pour montrer la guerre d’une manière esthétique. Lors d’une émission d’actualités télévisées, une animation de char militaire est même entrée dans le studio et a tiré des munitions à l’intérieur. La propagande guerrière atteint donc des niveaux jamais vus auparavant, afin de créer une mobilisation nationaliste parmi le public. Et malheureusement, le pouvoir a réussi, et le soutien à la guerre parmi l’opinion publique est plutôt élevé. Et même si de nombreux sondages électoraux montrent qu’ils n’ont pas réussi à transformer autant qu’ils le souhaitent cet appui à la guerre en soutien à la présidence d’Erdogan, celui-ci semble vouloir organiser les élections avant que l’atmosphère créée par Afrin ne disparaisse.
Malheureusement, ce cirque militariste ne peut pas être contesté par une alternative de gauche forte. Il semble qu’il n’y aura pas non plus de candidat de gauche aux élections, qui puisse faire campagne pour les revendications de la classe ouvrière ou utiliser ces élections comme possibilité de faire de la propagande et construire une alternative politique et la paix.
Correspondant, traduction Henri Wilno