Publié le Vendredi 8 novembre 2019 à 13h25.

En Amérique latine, l’ordre néolibéral vacille

Depuis la fin du cycle de gouvernements progressistes, en 2015, la droite et l’extrême droite semblait avoir repris des couleurs en Amérique latine. En Argentine, au Brésil, au Chili, les courants les plus réactionnaires revenaient au pouvoir en profitant de la baisse des cours des matières premières et de la dépendance des économies latino-américaines à celle-ci. Pour le pire, affrontant une conjoncture économique toujours défavorable, ils imposaient leurs mesures d’austérité, en utilisant l’effondrement du Venezuela et sa dérive autoritaire pour disqualifier toute perspective progressiste.  

Du Honduras au Chili…

Et pourtant, depuis quelques semaines, partout, l’ordre néo­libéral et les pouvoirs autoritaires sont remis en question. En Haïti, depuis deux mois, les classes populaires réclament la démission du président Jovenel Moïse, contre la corruption du pouvoir en place, malgré les plus de quarante morts à déplorer. Au Honduras, depuis des mois, la population manifeste contre Juan Orlando Hernández, successeur du coup d’État illégitime de 2009 et convaincu de narcotrafic par les tribunaux new-yorkais. Au Panama, les étudiantEs se mobilisent contre une réforme constitutionnelle qui voudrait inscrire dans le marbre l’interdiction du mariage pour les couples de même sexe. En Colombie, des milliers d’étudiantEs manifestent pour l’enseignement public et les élections municipales ont marqué une défaite de l’extrême droite au pouvoir, avec notamment l’élection de Claudia López, une écologiste, lesbienne, issue des classes populaires à la mairie de la capitale Bogotá. 

Ce qui a attiré l’attention, ici, ce sont les spectaculaires révoltes spontanées en Équateur et au Chili, sans attendre l’appel de quelque parti ou bureaucratie syndicale que ce soit. En Équateur, les indigènes et les classes populaires ont réussi à arracher la renégociation du décret 883 augmentant le prix de l’essence que le FMI avait prescrit en échange d’un prêt, cette révolte a subi une répression sanglante : huit morts, plus d’un millier de personnes blessées et plus d’un millier de personnes arrêtées. La répression se poursuit d’ailleurs contre les opposants après cette victoire partielle (voir article). Au Chili, c’est l’augmentation du prix du ticket de métro qui a été le détonateur d’un soulèvement qui dure depuis près de trois semaines et qui remet en question des décennies d’héritage pinochetiste, malgré une répression sanglante qui a coûté la vie à vingt personnes, des arrestations de masse et des scènes de torture qui rappellent des heures que l’on espérait ­terminées (voir article).  

Complaisance des États-Unis et de l’UE

En Argentine, le président libéral Mauricio Macri a été chassé du pouvoir par l’élection présidentielle du 27 octobre. La victoire du candidat de centre-gauche, Alberto Fernández, ne résout rien avec les faibles marges de manœuvre dont il dispose face à la pression d’une dette croissante, d’une inflation galopante, d’une récession persistante et d’un FMI en embuscade. La persistance électorale et organisationnelle du FIT-U (Front de gauche et des travailleurs – Unité) pourraient être extrêmement utile dans les révoltes à venir (voir article).   

Les États-Unis et l’Union européenne, toujours prompts à condamner des violations (réelles) des droits de l’homme au Venezuela et à Cuba et à infliger des sanctions qui aggravent les conditions de vie des populations, brillent par leur complaisance à l’égard de ce qui se passe en Équateur et au Chili. L’administration Trump et le gouvernement équatorien sont même allés jusqu’à imaginer des complots russe ou vénézuélien pour mieux oublier la violence de leur système et la légitime colère qu’il suscite. 

Ces révoltes ne signifient pas que tout est gagné. Le ras-le-bol des politiques libérales et de l’autoritarisme ne signifient pas qu’un nouveau projet d’émancipation est prêt à être mis en œuvre. La répression qui s’abat sur chacun des peuples est violente et les différents gouvernements de droite et d’extrême droite n’ont pas rendu les armes. La probable victoire de la droite uruguayenne à la prochaines élection présidentielle montre qu’ils conservent une dynamique indéniable. La nécessité d’auto-organisation de chacun de ces peuples est indispensable pour que ces révoltes puissent obtenir leurs ­revendications légitimes. 

Pedro Huarcaya