L'actualité sociale guyanaise de ces dernières semaines est forte en enseignement sur les conséquences du non respect de « l'accord de Guyane » de 2017 et la montée contestataire dans les communes de l’intérieure et au sein des « nations » autochtones.
21 avril 2017, après cinq semaines de grève générale et de blocage total de la Guyane, l’État français concède sa défaite en signant l'Accord de Guyane. Cet accord comporte plusieurs volets. On y retrouve un premier volet appelé « plan d'urgence » de 1 milliard d'euros (constructions scolaires, doublement de la voie expresse, construction d'un commissariat et d'un pôle judiciaire et la compensation des déficits des hôpitaux publiques), un second volet nommé « plan additionnel » de plus de 2 milliards (construction d'infrastructures routières devant permettre le désenclavement des communes de l’intérieur, des investissements pour des constructions scolaires, sanitaires, le développement des services publiques...) et enfin une partie « structurelle » qui prévoit la rétrocession de 400 000 hectares aux populations autochtones, 250 000 hectares à la CTG et la mise en place d'une évolution statutaire de la Guyane. Si le plan d'urgence a été dans la quasi intégralité mis en place dans les mois qui ont suivi le conflit, ce ne fut pas le cas du reste de l'accord.
Octobre 2017, le Président de la République française, Emmanuel Macron fait son premier déplacement en Guyane depuis son élection. Il se rend alors à Maripasoula, commune enclavée sans accès routier vers le littoral au sein d'un bassin de population de plus de 30 000 habitants. C'est avec le plus grand mépris et toute la condescendance coloniale1, que Macron annonce qu'il n'est pas le père Noël et que, par conséquent, il n'y aura pas de route ou d'hôpital à Maripasoula. La nuit d'émeute qui suivra à Cayenne n'y changera rien, l’État français a décidé de ne pas appliquer le plan additionnel de 2 milliards pourtant signé 6 mois plus tôt!
Septembre - Octobre 2022, Maripasoula s'embrase. La population se révolte, des barricades en feu sont érigées sur toute la commune et l’aérodrome est bloqué. Pendant 1 mois, la population se mobilise contre les coupures quotidiennes d'électricité, qui impactent également la distribution d'eau potable, contre la faible quantité de rotation aérienne et la limitation drastique du fret aérien et contre la vie chère dans cette partie du territoire guyanais située à 300km en avion de la capitale Cayenne et à 12 heures de pirogue de St Laurent du Maroni, la capitale de l'ouest guyanais. Au bout d'un mois, un accord est trouvé avec EDF d'abord, puis avec la CTG qui concède à l’augmentation des rotations aériennes, sans que l'état n'y investisse un euro supplémentaire.
Ce conflit social est la conséquence directe du renoncement de l'état français à mettre en application le plan additionnel de 2 milliards qui prévoyait notamment la construction de routes devant relier l'ensemble des communes de l’intérieur vers le littoral et le développement les différents services publiques (sanitaires, scolaires, énergétiques...).
Octobre 2022, c'est au tour des « nations » autochtones de se révolter. Le village Prospérité (Atopo Wipi), village Kali'na, est en ébullition suite à l'intervention musclée d'une colonne de 15 véhicules des forces de l'ordre qui viennent interpeller à l'aube le Yopoto du village (chef coutumier), ainsi que 3 villageois. Il leur est reproché le sabotage de matériels au sein du chantier de construction de la Centrale Électrique de l'Ouest Guyanais (CEOG), dont les kali'na contestent l'implantation sur les terres coutumières du village. Cet événement va émouvoir l'ensemble de la communauté autochtone qui va alors dénoncer l'action de l’État français et annoncer la rupture de toute collaboration. Le rassemblement de centaines de militants autochtones (avec tenues traditionnelles de guerre et cagoules rappelant la lutte du Chiapas) le 09 novembre sur le chantier et la décision d'occupation permanente du lieu est un pas de plus dans la défiance qui se structure avec l’État.
La encore, ce conflit est la conséquence de la non application de l'Accord de Guyane. En effet, si la rétrocession des 400 000 hectares aux peuples autochtones prévue dans l'Accord de Guyane avait été effective, jamais la CEOG ne se serait installée sur les terres coutumières kali'na sans leur accord!
Si nous prenons le temps de revenir sur ces deux conflits sociaux c'est parce qu'ils ont une portée hautement symbolique et doivent être entendus par l'état comme un avertissement. Historiquement, la colonisation française s'est accompagnée de l'entretien d'une fracturation des diverses composantes du peuple guyanais. Ainsi, l'état a fortement entretenu une opposition entre population du littoral « civilisée » et population de l'intérieur « sauvage » grâce au cadre de l'Inini2 qui a maintenu le statut colonial officiel des guyanais de l’intérieur jusqu'en 1969. L'état a également fortement œuvré a créer une opposition entre population autochtone et population afro-descendante au sein du peuple guyanais, en prétendant défendre les intérêts des uns contre ceux des autres. Alors que la majeur partie des conflits sociaux se déroulaient historiquement sur le littoral guyanais, la grève générale de 2017 a mobilisé l'ensemble des communautés sur tout le territoire guyanais. Ce « réveil de la nation guyanaise »3 a probablement été l'indicateur le plus inquiétant pour le maintien de la Guyane dans le giron de l'état français.
La mobilisation de la population du haut Maroni et celle des peuples autochtones sont une nouvelle étape dans le processus de décolonisation qui s'est ré-ouvert en 2017. La prise de conscience d'un destin commun face à un même oppresseur pourrait accélérer la structuration de la nation guyanaise. L'Accord de Guyane a marqué une étape décisive dans ce processus et il est important que les forces sociales et politiques continuent de s'en emparer pour construire une Guyane unie, maîtresse de son propre destin.
- 1. Macron en Guyane : Une stratégie coloniale bien rodée | Le Club (mediapart.fr) et MACRON EN GUYANE : L'ILLUSTRATION DU MEPRIS COLONIAL | Le Club (mediapart.fr)
- 2. Le territoire de l'Inini qui recouvrait toute la Guyane hormis le littoral, a conservé son statut colonial jusqu'en 1969 malgré la départementalisation de 1946. Cette zone concentrait la quasi-totalité des richesses exploitables. Ses habitants n'avaient pas le statut de citoyen français et le territoire était administré par le Préfet qui avait le statut de « Gouverneur de l'Inini ».
- 3. Le mouvement guyanais de mars/avril 2017 et le réveil d'une Nation | Le Club (mediapart.fr)