Badreddine Aloui, un médecin de 26 ans qui terminait une garde de vingt-quatre heures, est décédé après avoir chuté de cinq mètres dans une cage d’ascenseur de l’hôpital de Jendouba. Un décès qui symbolise l’état de délabrement du système de santé tunisien.
Ahlem Belhaj, secrétaire générale du Syndicat des médecins hospitalo-universitaires, propose avec l’Organisation des jeunes médecins tunisiens, une journée de grève générale de tout le secteur et une marche vers le Parlement. De nombreux praticiens, présents vendredi devant le ministère de la Santé, à Tunis, ont tout simplement réclamé la démission des directeurs jusqu’au ministre de la Santé. Lequel avait fait une visite début octobre et écouté les reproches du personnel médical sur le manque de matériel et l’état des locaux, plusieurs promesses avaient été faites pour améliorer les infrastructures et renforcer l’équipement.
Le Covid-19 comme révélateur
Cet incident survient alors que la Tunisie se débat contre la progression des contaminations. En Tunisie, les courbes des graphiques de l’évolution du virus ne ressemblent en rien à celles que l’on connait un peu partout dans le monde. L’épidémie a été rapidement maîtrisée, grâce à une réponse rapide et des mesures assez drastiques (un couvre-feu, la fermeture de l’espace aérien et des transports maritimes, une interdiction de circuler entre les différents gouvernorats…). L’isolement à domicile des premiers cas positifs (importés) pour les moins graves et en hôpital pour les autres, des tests parmi les personnes en contact, tout cela a permis de maîtriser la progression du virus de début mars à fin juin. Dans la dernière semaine de juin on dénombrait 50 décès au total, deux nouveaux cas positifs en moyenne par jour et aucune hospitalisation.
Ce qui est arrivé après fin juin ne ressemble pas à une deuxième vague mais plutôt à une brusque amplification de la première. La réouverture de l’espace aérien le 27 juin a permis à de nombreux TunisienEs coincés par leurs études ou leur travail dans différents pays à forte contamination (Italie, France, Russie, Arabie saoudite…) de revenir au pays. Ceux-ci ont généralement été mis en quarantaine dans des hôtels dédiés. Les fêtes de mariage qui se déroulent traditionnellement à partir de juillet ont aussi provoqué des regroupements dans les familles de personnes résidant à l’étranger. Et enfin, la reprise des activités économiques a permis l’éclosion de foyers de contamination.
La situation est donc devenue de plus en plus catastrophique de jour en jour. Dans la dernière semaine de novembre on dénombrait 3 311 décès au total, 1 110 nouveaux cas positifs en moyenne par jour (près de 100 000 depuis mars) et 1 495 hospitalisations dont 299 en soins intensifs.
Le feu qui couve
Des milliers de personnes ont perdu leur emploi d’un jour à l’autre et ne touchent pratiquement aucune allocation de remplacement. CertainEs d’entre elles et eux sont restés bloqués à cause du confinement et l’interdiction de se déplacer entre les régions. À Djerba, une île touristique, juste avant le début du Ramadan, 3 000 personnes qui devaient quitter l’île où elles étaient confinées (des travailleurs de l’hôtellerie, des rapatriés de Lybie) ont été rassemblées dans trois stades, dans les délégations d’Ajim, Midoun et Houmt Souk. Elles ont reçu des gaz lacrymogènes lors d’affrontements quand elles ont protesté et réclamé les moyens de transport promis pour les conduire dans des centres de quarantaine dans leurs régions.
Dans ces régions, d’autres jeunes manifestent quotidiennement. Là, pour réclamer la création d’emplois et des embauches correspondant à leurs qualifications. Ailleurs contre des projets qui détruisent l’environnement. Et un peu plus loin encore pour demander des infrastructures publiques, pour obtenir l’alimentation en eau en suffisance toute l’année…
Bref la détresse est grande et la révolte est latente. La mort du jeune médecin Badreddine pourrait bien la faire éclater au grand jour.
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