Ces deux dernières semaines, une mobilisation sans précédent a frappé l’État espagnol. Nous savons d’ores et déjà qu’elle aura des répercussions importantes. Comment expliquer une telle mobilisation presque spontanée et presque inespérée ? Les conséquences de la crise dans l’État espagnol sont dévastatrices. La population se retrouve dans des situations toujours plus inacceptables (5 millions de chômeurs, 1,2 million de familles sans aucun revenu), auquel vient s’ajouter un sentiment d’impuissance face à un gouvernement social-démocrate qui applique les plans d’austérité dictés par le FMI.
Ce sentiment a grandi à cause du manque de réponse des partis de la gauche institutionnelle (Izquierda Unida, et les partis de la gauche régionale), qui n’ont pas voulu risquer de fermer la porte à de possibles alliances avec le Parti socialiste aux élections pour les autonomies en 2011 et aux élections générales en 2012, et une gauche radicale qui n’est pas en capacité de pouvoir articuler une réponse suffisamment massive pour faire front à la politique du gouvernement. Notons qu’il n’y a pas non plus de réponse suffisante de la part des grandes centrales syndicales qui, face à la politique du gouvernement et les propositions du patronat, se sont engouffrées dans le pacte social.
Le mouvement a commencé après la répression de la manifestation du 15 mai organisée par le collectif « Democracia Real Ya ! », qui réclamait, à l’occasion des élections pour les autonomies et des élections municipales du 22 mai, une réforme de la loi électorale pour en finir avec un système pratiquement bi-partidaire hérité de la transition. Des dizaines de personnes se sont alors rassemblées sur la Puerta del Sol à Madrid, et ont organisé un campement pour protester contre la répression de la manifestation tout en maintenant les revendications démocratiques du collectif. Après que le campement a été délogé, tout l’État espagnol a été contaminé, et de nouveaux campements sont apparus dans toutes les grandes villes puis, rapidement, se sont étendus à des moyennes et petites villes.
La réponse des grands partis, qui ne s’attendaient pas à une réaction si massive et spontanée, a été d’appeler à voter aux élections, tentant ainsi de désamorcer le mouvement et de le rediriger vers la voie institutionnelle. Mais contrairement à ce que les médias et les grands partis auguraient, le mouvement du 15 mai a continué de grandir après les élections (remportées par la droite). La charge policière du 27 mai contre le campement de la Plaza de Catalunya à Barcelone a légitimé les assemblées et les campements, faisant entrer plus de personnes encore dans la mobilisation.
Les campements établis un peu partout dans le pays ont permis d’ouvrir un espace de débat sur la situation politique et sociale à des gens qui jusque-là ne s’étaient pas nécessairement mobilisés. Cela a permis d’ouvrir le débat et de faire le point sur les revendications des divers secteurs. Des revendications initiales purement démocratiques, on aborde aujourd’hui, dans certaines villes, des questions sociales et économiques (le chômage, les services publics, la fiscalité), faisant la démonstration de la conscience sociale face à l’injustice et exigeant de faire payer la crise à ses véritables responsables. Dans certains cas comme à Madrid, à la Puerta del Sol, les assemblées sont déplacées dans les quartiers de la ville, ainsi que dans les villes de banlieues afin de continuer la massification du mouvement. En tout cas, cette mobilisation a déjà permis de prendre conscience que nous pouvons sortir de la crise du système.
Très peu de temps après le début de la mobilisation, des actions de protestation ainsi que des rassemblements de soutien et des campements devant les ambassades d’Espagne se sont organisés dans de nombreux pays. Dans ceux qui sont dans une situation similaire à celle de l’État espagnol, le mouvement a développé sa propre dynamique (le Portugal avec des manifestations massives contre le FMI, ou la Grèce avec ces derniers jours à Athènes des rassemblements de plus de 100 000 personnes). Dans les autres pays mobilisés, un mouvement de solidarité semble perdurer.
La question pour l’heure est de savoir si les assemblées des campements dans l’État espagnol vont être capables de s’implanter dans les quartiers pour continuer la dynamique des deux dernières semaines et ainsi rendre le mouvement encore plus massif. Il faudra également être attentifs aux types de relations qui s’établissent avec la classe ouvrière frappée de plein fouet par la crise et la réaction à venir des directions syndicales.
Mats Lucia Bayer et Hegoa Garay