Le gouvernement éthiopien propose une conciliation nationale après plus de 18 mois d’une guerre qui a déchiré le pays. Si l’Éthiopie connaît un calme précaire, les questions d’importance restent en suspens, notamment les relations entre Addis-Abeba et le Tigré, le statut des terres revendiquées par plusieurs communautés, l’apparition d’un nouveau front armé dans la région d’Oromia, le tout sur fond de crise économique sociale et sanitaire aigüe.
L’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed en 2018 a été la conséquence d’un régime à bout de souffle marqué par des luttes populaires importantes. Depuis 1994, l’EPRDF (Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front) avait la mainmise sur le pays. Ce front, censé rassembler plusieurs partis issus des différentes ethnies du pays était en fait largement contrôlé par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) qui ne représente que 6 % de la population. Sa politique bureaucratique et autoritaire fut de plus en plus contestée. C’est ainsi qu’en 2005, un soulèvement populaire contre les fraudes électorales aura lieu. Plus tard en 2015, les Oromos se mobiliseront contre les tentatives d’accaparement de leurs terres. Ils seront rejoints par les Amharas contre leur marginalisation. Ces deux communautés représentent respectivement 30 et 25 % de la population.
Fils d’un père Oromo et d’une mère Amhara, Abiy a soulevé beaucoup d’espoirs par ses mesures prises dès son arrivé au pouvoir : libération des prisonniers politiques, élargissement du champ démocratique et paix avec l’Érythrée, ce qui lui a valu un prix Nobel, mais rapidement la situation s’est dégradée.
La guerre au Tigré
Abiy a entrepris de délaisser l’EPRDF pour construire une nouvelle organisation, le « Parti de la Prospérité » plus centraliste, et surtout il a éradiqué le pouvoir de l’élite tigréenne.
La guerre va éclater entre Addis-Abeba et le Tigré sur des questions électorales. Elle sera ponctuée d’offensives et de contre-offensives avec des prises de villes et de territoires qui s’accompagneront de crimes contre l’humanité des deux côtés. Les organisations de défense des droits humains font état d’exécutions sommaires liées à l’appartenance ethnique des victimes. Le viol est utilisé comme arme de guerre. Un conflit où nombre de civils des deux camps se sont enrôlés, traduisant un soutien réel d’une grande partie de la population aux discours et actes bellicistes de leurs dirigeants.
Si aujourd’hui les armes se sont tues, le blocus d’Addis-Abeba à l’encontre du Tigré menace les populations de famine. Pour éviter un isolement international et des mesures de rétorsion, Abiy s’est résolu à autoriser la circulation de convois humanitaires mais en quantités bien trop limitées par rapport aux besoins. Addis-Abeba se sert de ce blocus comme d’une arme dans les négociations qui s’ouvrent.
Des problèmes complexes
Depuis la cessation du conflit, de nouveaux problèmes apparaissent comme l’idée d’une sécession du Tigré ou des questions de légitimité sur des territoires récemment conquis par une communauté. C’est le cas de la région du Wolkait, gagnée par les Amharas dont les dirigeants procèdent à un véritable nettoyage ethnique, expulsant plus de 700 000 TigréenEs. Leur justification est que ces terres appartenaient aux Amharas et qu’ils en ont été dépossédés quand l’EPRDF est arrivé au pouvoir. Chacun met en avant une part de vérité pour occuper ces terres convoitées. La solution serait certainement une gestion mixte des territoires par les deux communautés. Ce qui impliquerait l’apaisement d’une haine partagée.
Autre source d’inquiétude, une partie des Oromos organisés dans l’Armée de libération de l’Oromo (OLA) qui a participé à la guerre aux côtés du TPLF, exigent plus d’autonomie pour leur région. La question qui est posée est le maintien ou non de la traduction politique reflétant la diversité ethnique. Depuis 1994 c’était la règle. La réalité est que le caractère fédéral du régime était seulement sur le papier au profit d’une gestion centralisée. Cependant, il existe une volonté d’avoir une vraie gestion fédérale basée sur les différentes communautés du pays. Si la question, pour certains, de l’importance de l’appartenance à une ethnie doit être prise en compte et respectée, cela ne doit pas impliquer automatiquement une référence politique particulière. Derrière ces questions bien réelles, se cache un autre agenda pour les différentes élites du pays. Celui de l’accession au pouvoir, synonyme d’accession aux ressources financières et foncières. Les discours démagogiques et de haine sont utilisés dans cette compétition.
Les dizaines de milliers de morts, les trois millions de déplacés et les 22 millions en situation de crise alimentaire sont la tragique preuve que ces dirigeants sont indignes de représenter les populations pour diriger le pays.