Publié le Vendredi 6 juin 2025 à 12h00.

La santé, malade de l’austérité en Éthiopie

Depuis le 12 mai, le personnel de santé des différents hôpitaux que compte le pays est en grève. 

Sur la dizaine de revendications avancées figure en bonne place la question des rémunérations. L’exigence est d’être au niveau du standard des pays d’Afrique de l’Est, soit 1 000 dollars par mois. 

Réparer des années d’injustice

À cela, s’ajoutent un temps de travail conforme aux recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) — soit 45 heures avec le paiement des heures supplémentaires — des indemnités de transport et de logement, une prime de risque et des soins médicaux gratuits pour les professionnelLEs et leurs familles. Un médecin témoigne pour ses collègues : « Il y a eu des cas où ils n’avaient même pas les moyens de se faire soigner lorsqu’ils tombaient malades et étaient contraints de mendier ».

Le lancement de la grève a été précédé d’une intense mobilisation sur les réseaux sociaux autour des hashtags #HealthWorkersMatter (les travailleurs de la santé comptent) ou #PayHealthWorkersFairly (payer équitablement les travailleurs de la santé). À cette occasion les populations ont pu découvrir qu’un médecin spécialiste gagne 70 euros par mois, un médecin généraliste 7 600 birrs mensuels soit une cinquantaine d’euros ; les autres personnelLEs de santé, ­infirmierEs ou aides-soignantEs, touchent des salaires encore bien moindres.

Un système de santé en lambeaux

Le seul moyen de s’en sortir est de cumuler plusieurs postes augmentant le nombre d’heures de travail, comme l’indique un docteur du Black Lion Specialized Hospital : « Je viens de terminer mon service de nuit, j’ai travaillé la nuit précédente dans un hôpital privé et je suis de retour aujourd’hui. Nous sommes soumis à une pression intense », avec un risque avéré de dégradation de la qualité des soins. La situation est bien plus désastreuse dans les provinces du pays où les heures supplémentaires ne sont pas payées et où les salaires arrivent avec retard, ce qui entraîne des vagues de démissions, aboutissant à des déserts médicaux.

La déclaration d’Abuja sur la santé fixait comme objectif en 2000 un budget dédié à la santé équivalent à 15 % du PIB. Pour l’Éthiopie, on en est loin : la Banque mondiale estimait en 2022 que ses dépenses ­représentaient 2,85 % de son PIB.

La répression plutôt que la négociation

Au lieu de répondre aux revendications, les autorités ont eu un discours contradictoire, affirmant que la grève a peu d’impact mais accusant les personnelLEs de santé de tuer les patientEs. Elles ont emprisonné Mahlet Gush, une anatomopathologiste renommée ainsi que huit autres collègues. La Dr Mahlet est accusée « d’incitation à l’émeute et aux troubles » et de « collaboration avec des forces hostiles à la paix pour fomenter une rébellion urbaine », puis d’autres accusations ont été portées à son encontre, notamment d’avoir « provoqué la mort de patients par la grève ». Sauf que depuis plus d’un an elle n’exerce plus d’activité clinique. 

En fait, son incarcération est liée à l’interview qu’elle a donnée à la BBC critiquant l’état catastrophique de l’offre de soins dans le pays. Cette répression, habituelle pour le gouvernement qui n’hésite pas à étouffer les voix dissidentes, a conduit l’Ethiopian Human Rights Commission (Commission éthiopienne des droits humains), organisme public, à marquer sa réprobation.

La répression s’est accentuée. Ainsi Amnesty International a reçu une liste de 121 salariéEs de la santé qui ont été arrêtéEs. D’autres subissent des intimidations et des menaces, notamment le retrait de leur licence.

En dépit de ces pressions, la grève tient bon et les autorités ont commencé à négocier, mais le personnel met comme préalable à l’ouverture des pourparlers la libération des salariéEs emprisonnéEs et la levée de toutes les sanctions.

Une victoire des grévistes serait un encouragement pour d’autres secteurs, notamment celui de l’enseignement, lui aussi fort mal traité.

Paul Martial