Faisant les choux gras des tabloïds et des magazines politiques, la présence de jeunes jihadistes français engagés dans les rangs de l’Etat islamique-Daesh, et participant activement aux atrocités que celle-ci commet, interroge sur les raisons qui peuvent pousser une fraction – certes infime – de la jeunesse européenne à rejoindre une secte meurtrière et obscurantiste. Elle est aussi l’occasion d’une campagne réactionnaire.
Deux Français sont soupçonnés d’avoir participé à une exécution de masse perpétrée par l’État islamique, filmée et mise en ligne dimanche 16 novembre. Un premier nom a étérévélé, celui d’un jeune de 22 ans, originaire de Normandie, Maxime Hauchard, qui figurait sur la vidéo de Daesh où l’on voit des jihadistes exécuter et commettre des exactions sur plusieurs dizaines de personnes, dont l’Américain Peter Kassig. Puis un deuxième, Mickaël Dos Santos. « Bourreaux de Daesh : le second Français identifié » annonçait France 2. Si le parquet se contentait d’avoir « de fortes présomptions », les médias se sont aussitôt emparés de l’affaire : portraits détaillés, photos, témoignages... « D’une barre HLM à la Syrie, le parcours du jihadiste Mickaël Dos Santos » titrait même un journal !
Une réalitéAu-delà des effets médiatiques, par le biais de cette vidéo, Daesh a voulu mettre en évidence, grossir une réalité difficile à accepter pour les défenseurs de l’ordre existant. Comment leur société peut-elle produire de telles dérives chez des jeunes, jeunes dont les enquêtes révèlent qu’ils ne correspondent pas aux préjugés véhiculés par les racistes et réactionnaires sur le « jeune musulman de banlieue » ?Selon un rapport de l’ONU, il y aurait 15 000 personnes, issues de 80 pays, qui auraient rejoint les groupes fondamentalistes en Irak et en Syrie. Au niveau européen, environ 3000 ressortissantEs seraient partis « faire le jihad », selon les chiffres avancés par le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme. Le nombre d’EuropéenEs morts en Syrie et en Irak est estimé à environ 120 personnes depuis le début du conflit en 2012. 1132 ressortissantEs français seraient actuellement impliqués dans le jihad, selon le ministre de l’Intérieur.
Des causes« Il n’y a pas un profil type de jihadiste, comme on a voulu le faire croire : le petit "beur" de banlieue qui part faire le jihad à cause du racisme qu’il vit au quotidien... Les petits délinquants côtoient des gens éduqués, des villes, des banlieues, ou de la campagne », explique le sociologue Olivier Roy. Un journaliste de RFI, David Thomson, parle de Français « parfaitement insérés dans la vie active », dont « les deux parents sont cadres supérieurs ». Les jeunes filles viennent « plus souvent des milieux favorisés », souligne-t-il.Pas de profil, mais une dérive nourrie par une société violente, dans laquelle bien des jeunes se retrouvent isolés, sans repères, où leur révolte n’a d’autres aliments que les fantasmes violents que véhiculent des réseaux sur le net. C’est par ce biais que se font, semble-t-il, les recrutements et adhésions. Aussi marginal soit-il, ce phénomène révèle un profond malaise social auquel le projet de loi antiterroriste du 4 novembre sera bien impuissant à répondre.Confronté aux conséquences dramatiques ou monstrueuses de sa propre politique, le pouvoir n’a de réponses que répressives, des réponses qui alimente une campagne réactionnaire, véritable fond de commerce des pourfendeurs de l’Islam : Finkielkraut, BHL et autres Zemmour... Le Front national en est le premier bénéficiaire et pratique la surenchère : « Oui, j’ai un centre éducatif tout trouvé pour lui, c’est la guillotine, n’est-ce pas ? » dit Jean-Marie Le Pen à propos de Maxime Hauchard.Ces haines alimentent la haine, le désespoir, l’isolement et l’instabilité maladive, qui mènent à la folie des sectes obscurantistes et meurtrières.
A.P. et Y.L.