Publié le Vendredi 2 juillet 2010 à 10h29.

FSE : les enjeux Istanbul

La 6e édition du Forum social européen (FSE) se tient à Istanbul du 1er au 4 juillet. L’enjeu est d’importance. Nous sommes loin du dynamisme et de la radicalité qui se sont exprimés lors de la première édition, à Florence en 2002, et pourtant, le contexte social et politique européen de l’année 2010 rend l’échéance d’autant plus nécessaire. Le mouvement altermondialiste a permis de ressusciter, à une échelle de masse, l’espoir d’un autre monde contre la marchandisation et la militarisation de la planète, et un minimum de confiance dans les capacités de mobilisation de celles et ceux à qui le système était intolérable. Pourtant, la manifestation mondiale contre la guerre en Irak, le 15 février 2003, a en quelque sorte constitué l’apogée d’un processus commencé trois ans plus tôt avec le Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre. Plusieurs facteurs ont contribué à mettre le processus en difficulté. Au-delà de la crise de croissance ou de l’aspect répétitif de forums dont il n’est pas aisé de faire réellement évoluer le contenu d’une année sur l’autre, l’essentiel réside évidemment dans le poids des défaites accumulées et l’incapacité à obtenir des victoires significatives, malgré des mobilisations importantes. Cela a engendré un reflux assez général de la contestation et un affaiblissement des mouvements de résistance. Dans ce contexte, le processus a aussi été confronté à des difficultés politiques. Les forums sociaux, pour s’enraciner, auraient dû avoir une traduction permanente à toutes les échelles, nationale mais aussi régionale ou locale. Avec l’affaiblissement, cet enracinement ne s’est pas réalisé, contribuant à maintenir un réseau européen un peu « hors-sol », déconnecté des mobilisations réelles, à l’exception de la lutte européenne contre la directive Bolkestein. Le processus a entretenu l’illusion que les forums sociaux pouvaient constituer un cadre de convergences, d’élaboration et de mobilisation indépendant des forces politiques. En réalité, l’exclusive à l’égard des partis formulée dans la charte de Porto Alegre, qui se fondait sur une crainte de voir le mouvement récupéré, est vite devenue caduque voire hypocrite et a conforté la division mortifère entre mouvements sociaux chargés des mobilisations et partis politiques se préoccupant des questions de pouvoir. D’un côté, l’absence des forces politiques permettait d’éluder le débat stratégique et affaiblissait celui sur le contenu de l’alternative politique, dans un processus qui à la limite pouvait finir par ressembler à une addition de mouvements sociaux. De l’autre, les clivages politiques sont quand même venus percuter les forums sociaux, notamment lors du choix de Rifundazione en Italie de participer à une coalition gouvernementale de centre-gauche, ou même lors de la mobilisation contre le TCE. Pourtant, le FSE demeure le seul lieu de rencontre réel au niveau européen. Et la conscience de son rôle central dans la situation est apparue assez clairement pour qu’un processus alangui reprenne de la vigueur dans les derniers mois de préparation du FSE d’Istanbul. L’offensive menée par la quasi-totalité des gouvernements à travers l’Europe aux ordres des capitalistes responsables de la crise, accompagnée d’attaques sans précédent contre les salaires, les retraites et les services publics met à l’ordre du jour une riposte européenne. Les luttes et grèves en Grèce, Espagne, France ou Italie annoncent peut-être une reprise globale des mobilisations. Il faut faire en sorte de populariser l’idée qu’au-delà des traductions nationales, il s’agit bien d’un plan européen, et qu’il est possible, malgré des rythmes et des situations différents, d’établir un plan de mobilisation à la même échelle. Istanbul est, dans cette optique, une échéance fondamentale pour lancer des initiatives et bâtir une réponse coordonnée des mouvements sociaux unis dans leur refus de payer la crise et leur volonté d’imposer un plan anticrise basé sur la justice sociale, l’égalité entre les sexes et le respect de l’environnement.

À l’origine des FSE

Le processus des forums sociaux a constitué, d’abord au niveau mondial, puis plus spécifiquement européen, la matérialisation du mouvement altermondialiste, dont l’acte de naissance officiel date de la mobilisation contre l’Organisation mondiale du commerce à Seattle, en 1999. Il s’agissait de mettre en place un cadre permanent permettant la coordination des mouvements sociaux qui avaient en commun le rejet du néolibéralisme et de la mondialisation capitaliste. Le premier FSM réuni à Porto Alegre a constitué un pas en avant, tant sur le plan de l’élaboration commune que sur celui de l’organisation de ce mouvement des mouvements. Au sein de celui-ci se dessinent alors différents pôles, forces syndicales, mouvements paysans, Marche mondiale des femmes, mouvements de résistance culturelle, écologistes, jeunes investis dans des mobilisations radicales, chercheurs, juristes ou avocats en première ligne pour défendre les droits humains menacés par la répression et la criminalisation des mouvements sociaux. Le processus des forums sociaux présente l’intérêt majeur d’être d’emblée et presque naturellement internationaliste, redonnant de la vigueur à cette perspective qui s’était affaiblie dans les années 1980. Après le FSM se sont constitués des forums sociaux régionaux. Le premier FSE s’est tenu à Florence en 2002. Ce fut un succès inattendu, par la participation aux débats et à la manifestation de clôture. Surtout, l’assemblée des mouvements sociaux réunie à cette occasion lança la mobilisation contre la guerre qui rassembla, le 15 février 2003, plus de 15 millions de personnes dans le monde. Istanbul constitue la 6e édition du FSE, après Paris (2003), Londres (2004), Athènes (2006), et Malmö (2008). Pourtant, depuis Londres, le processus cherche un second souffle. La participation s’est avérée plutôt déclinante. Si les forums sociaux constituent des espaces de convergence des luttes et des résistances, s’ils ont permis de mettre en place des réseaux thématiques (santé, éducation, précarité, oppression des femmes, immigration…), s’ils se sont élargis géographiquement et (dans une moindre mesure) socialement, ils peinent à élaborer de véritables alternatives au capitalisme et leur capacité à impulser des mobilisations s’affaiblit.

Faisons leur payer la crise ! Une autre Europe est nécessaire*

Plus le temps passe, plus la crise du capitalisme néolibéral se transforme en offensive massive contre les peuples européens : baisse drastique des salaires et retraites, licenciements à une échelle sans précédent, destruction totale des services publics. C’est la période la plus noire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale du point de vue des revenus et des droits sociaux. Ceux qui ont profité des politiques néolibérales menées dans les deux dernières décennies et créé la crise globale en cours […] essaient désormais de présenter la note à ceux qui ne portent aucune responsabilité, travailleurs, chômeurs, retraités, jeunes, femmes, immigrés. Il est grand temps de les arrêter, de leur faire payer leur crise. Les États-Unis, le FMI, les spéculateurs financiers et les gouvernements néolibéraux partout en Europe essaient de faire de la Grèce, le laboratoire d’un nouveau modèle barbare, anti­social, qu’ils veulent mettre en œuvre partout en Europe. L’Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie souffrent déjà de vigoureux plans d’austérité. C’est aujourd’hui le tour de l’Europe du sud. Et cela ne s’arrêtera pas là ! Nous avons exprimé notre solidarité avec la résistance du peuple grec et avec tous les peuples qui subissent des plans d’austérité. Mais ce n’est pas suffisant. Plus que jamais, c’est le moment de construire des résistances et des alternatives internationales et spécifiquement européennes aux politiques menées par le G20, le FMI et l’Union européenne avec la collaboration des gouvernements nationaux. Il n’y a pas d’issue nationale, fragmentée, à la crise internationale. En outre, il nous faut bloquer les forces racistes et nationalistes qui tentent de profiter de la situation. Plus que jamais, nous devons faire du Forum social européen un événement clé pour prendre des initiatives, coordonner les actions et développer les alternatives. À Istanbul, du 1er au 4 juillet, nous allons faire du 6e Forum social européen, un immense laboratoire pour la coordination internationale de nos résistances et pour la promotion d’un nouveau modèle social, basé sur la solidarité. Il est grand temps de mobiliser à l’échelle européenne pour la défense de l’emploi, des salaires et des retraites, pour mettre un coup d’arrêt décisif à la spéculation financière, pour un moratoire européen sur le paiement de la dette publique, pour un contrôle public du système bancaire. *Extraits de l’appel de l’assemblée préparatoire au FSE d’Istanbul

Istanbul, un rendez-vous important

La sixième édition du Forum social européen […] rassemblera au moins 10 000 participantEs venuEs principalement de Turquie mais aussi de toute l’Europe, engagéEs dans des mouvements sociaux et citoyens : écologistes, féministes, syndicalistes, dans des mouvements de défense des précaires, des mouvements paysans, en défense des droits civils et politiques. Ce FSE se tient deux ans après l’éclatement de la crise, en pleine offensive des gouvernements européens pour imposer des politiques d’austérité et de régression sociale qui accroissent la pauvreté de larges secteurs de la population, le chômage et renforcent les inégalités. Tandis que les marchés financiers applaudissent à ces politiques, socialement injustes et économiquement inefficaces, les mouvements sociaux, les peuples s’y opposent. Cette résistance des mouvements sociaux et citoyens européens sera au centre des débats de ce prochain FSE et un des enjeux. Le FSE sera un carrefour entre Orient et Occident et les très forts mouvements sociaux turcs seront au centre des débats. Et que ce soit sur le terrain du droit des peuples – et notamment des Kurdes – ou des mobilisations sociales, la Turquie d’aujourd’hui est riche de mobilisations, de mouvements. […] La crise climatique, le déclin de la démocratie et les droits civils, les conflits dans le monde, avec une attention particulière à l’occupation et au blocus israélien de la Palestine, les discriminations, les alternatives féministes à la crise, etc., font partie des sujets qui seront aussi discutés et analysés sur les quatre jours du forum. […] Plus que jamais, le contexte de la crise met à l’ordre du jour la nécessité de coordonner les efforts et de travailler ensemble pour fournir une issue à la crise basée sur la justice sociale, l’égalité entre hommes et femmes et le respect de l’environnement. Le FSE, en tant que lieu de rencontre pour les mouvements sociaux européens, est une plateforme importante pour débattre, prendre des initiatives, coordonner des actions et développer des alternatives. Ce sera le sens de la participation des nombreux acteurs sociaux, organisations, mouvements, réseaux réunis en France dans le CIFS. Communiqué du comité d’initiative pour les forums sociaux (CIFS), constitué à l’occasion du FSE de Paris Saint-Denis en 2003, et qui regroupe l’ensemble des forces impliquées dans le processus des FSE au niveau français.

La Marche mondiale des femmes

Istanbul constitue l’étape régionale de la Marche mondiale des femmes avec un forum et une manifestation le 30 juin. C’est à l’issue de celle-ci que s’ouvre le FSE. La Marche mondiale a donc lancé un appel à cette occasion, intitulé « Changer la vie des femmes pour changer le monde, changer le monde pour changer la vie des femmes », rappelant son combat contre les causes de la pauvreté et la violence de genre, affirmant son soutien à la lutte des femmes en Turquie et dans les pays voisins, en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. Elle souhaite mettre en évidence la manière dont les crises combinées affectent les femmes, et comment la crise prétendument financière est utilisée par les grandes multinationales pour subordonner les intérêts publics à ceux des entreprises. Elle refuse la manière dont la pensée économique dominante utilise les femmes comme excuse pour imposer ses solutions face aux crises et s’oppose à l’Europe forteresse basée sur la répression et la militarisation, qui aggrave la violence masculine au lieu d’y mettre fin. La Marche mondiale fait donc étape à Istanbul pour formuler et exprimer une réponse commune face à la situation.