Publié le Dimanche 26 décembre 2010 à 12h56.

Grande Bretagne : les jeunes entrent en résistance

Rage et indignation étaient à l’ordre du jour mercredi 10 novembre à Londres. Plus de 50 000 manifestants : jeunes, étudiants en masse, lycéens très nombreux et profs bien présents, manifestaient en effet face au Parlement de Westminster contre les projets du gouvernement de sabrer les bourses d’études et de tripler les taxes universitaires.

Ces nouvelles taxes, que le Parlement britannique doit en principe voter avant Noël, passeraient de 3290 à 9000 livres (3 908 à 10 688 euro) par an, sonnant le glas définitif de l’accès à l’enseignement supérieur pour toute une génération de jeunes ne faisant pas partie des milieux les plus favorisés. Aujourd’hui déjà, nombre d’étudiants et étudiantes quittent les universités avec des dettes écrasantes, plus de 20 000 livres (23 750 euro) étant un montant courant, qu’ils mettent des années à rembourser.

Manif massive et radicale

Ce fut la plus importante manifestation d’opposition depuis l’entrée de David Cameron au 10 Downing Street. Rassemblés à l’appel du Syndicat national des étudiants (NUS), les manifestants, deux fois plus nombreux que prévu et très déterminés, ont été durement réprimés par la police lorsque des centaines d’entre eux, portés par des milliers d’autres, ont spontanément envahi et occupé le siège central du Parti conservateur au 30 Millbank, un bâtiment symbole d’une politique toute entière tournée vers le primat du profit pour le capital sur les besoins sociaux de la majorité des gens.

Les affrontements ont été d’une ampleur jamais vue dans la capitale britannique depuis plus 20 ans et auraient fait 14 blessés, dont 7 policiers, et conduit à de nombreuses arrestations.

L’occupation du siège des « tories » a été le moment fort de cette mobilisation ayant surpris tous les médias tant par son ampleur que par sa radicalité. A l’intérieur du bâtiment occupé, plusieurs permanents du parti conservateur ont été contraints de se barricader dans leurs bureaux, avec parmi eux la présidente du parti, la baronne Warsi, réduite à rester en contact téléphonique avec la police à l’extérieur.

Des slogans ont été peints sur les murs, des vitres ont volé en éclats et du mobilier est passé par les fenêtres, aux cris de « Tory scum ! » (« Racaille de conservateurs ! ») et de « We’re Young ! We’re poor ! We won’t pay anymore ! » (« On est jeunes, on est pauvres, on veut plus payer ! »)

La police semble avoir été totalement surprise par cette éruption. Elle a été un moment débordée et forcée de reculer face à la détermination des étudiants, portés par la vague d’indignation et par le sentiment de trahison de toute une génération.

QG conservateur occupé

Comme l’écrivait notamment Laurie Penny, qui y était, sur le site du New Statesman : « la violence qui s’est allumée autour du QG des Tories n’est pas attribuable à “un petit groupe d’anarchistes qui gâchent tout“ mais elle est au contraire largement le fruit d’un consensus, ceux qui sont devant étant portés par la vague de fond émanant de la foule ». A ce sujet, elle cite un manifestant : « On a bien vu ce qui s’est passé dans les manifs anti-guerre de 2003... Il ne s’est rien passé... on est venus bien gentiment, on a écouté des discours... on est rentré chez nous. Alors quel autre choix avons-nous ? »

Nina Power, dans le Guardian, va dans le même sens en écrivant : « Il est difficile de présenter cette violence comme étant le produit d’une petite minorité. C’est au contraire l’expression authentique de la frustration contre le petit nombre de ceux qui façonnent un avenir de misère pour la majorité. »

Sur place, un groupe d’étudiants a diffusé une déclaration disant  : « Nous occupons le siège du parti conservateur en opposition à la marchandisation de l’enseignement approuvée par le gouvernement de coalition et à sa volonté d’aider les riches pour s’attaquer aux pauvres. Nous appelons à l’action directe pour s’opposer à l’austérité. Ceci n’est que le début de la résistance ».

Trahison des libéraux

Le président du NUS a — de manière prévisible, mais discutable et discutée — condamné les « actions violentes » de manifestants, tout en prévenant les députés libéraux qu’ils seront expulsés du Parlement s’ils votent en faveur de l’augmentation des taxes universitaires. Pendant la dernière campagne électorale pour les législatives, les libéraux-démocrates avaient en effet solennellement promis qu’ils n’augmenteraient pas les taxes universitaires, augmentation qu’ils défendent aujourd’hui afin de compenser les coupes — à hauteur de 40 % — dans le financement public des postes d’enseignement universitaire, coupes décidées dans le cadre du plan d’austérité particulièrement draconien et antisocial institué par le gouvernement de coalition avec les conservateur auquel ils participent.

Un plan d’austérité dont les victimes, sans-logis, patients qu’on soignera plus ou moins bien, jeunes privés d’avenir et d’espoir, sans-emplois… souffriront une violence systémique et systématique à côté de laquelle les quelques vitres brisées chez la baronne Warsi ne pèsent pas bien lourd.

Après la Grèce et la France, cette manifestat du 10 novembre pourrait être le signal du réveil de la jeunesse et de la classe ouvrière anglaise, jusqu’ici relativement passives face à ces mesures d’austérité sans précédent prises par le gouvernement de James Cameron, qui se vantait il n’y a pas si longtemps de parvenir à un large « consensus » autour de ses politiques antisociales.

Pierre Vanek. Paru dans Solidarités n°178.