La droite grecque, qui a toujours martelé que le gouvernement de Syriza ne pouvait être qu'une parenthèse, a donc repris les rênes du pouvoir en juillet sans pouvoir cacher sa joie profonde d'infliger à la gauche une défaite profonde, et que certains petits roquets de l'aile d'extrême droite, comme le fascistoïde Georgiadis, voudraient irrémédiable.
En s'appuyant insolemment sur ce courant de droite extrême, qui va de l'ancien fasciste « tueur à la hache » Voridis, devenu ministre du Développement agricole, au courant nationaliste de l'ancien premier ministre Samaras l'extrême libéral, Mitsotakis a immédiatement voulu prendre toutes les rênes du pouvoir, sans se préoccuper de la qualité des sbires à qui il confiait des responsabilités : résultat, un dirigeant des services secrets qui a menti sur ses diplômes, idem pour le militaire à qui il vient de confier la responsabilité de la « gestion » des réfugiéEs, un nationaliste raciste qui ne rêve que de camps de concentration… Au tourisme, il a nommé un affairiste enfariné, admirateur de la junte des colonels, belle image pour la vitrine touristique…
La liste est longue, et chaque jour la presse indépendante met à jour des vices de procédure, des mensonges éhontés, qui sont la vraie face de ce que Mitsotakis vante comme le « gouvernement des meilleurs », slogan ridicule relayé par des médias majoritairement aux ordres de la Nouvelle Démocratie et du patronat, ce dont le gouvernement a voulu les récompenser en accordant discrètement des subventions y compris à des journaux de caniveau, presse raciste et à scandale !
Et en cette fin d'année, pendant que la droite prépare un budget évidemment uniquement favorable au patronat, ce qui mobilise de plus en plus largement, ce sont avant tout les innombrables et très inquiétantes attaques contre les droits démocratiques et y compris contre la justice élémentaire… On relèvera trois exemples de ces faits sur lesquels se déroulent ces jours-ci des mobilisations qui ne demandent qu'à prendre de l'ampleur … si on sait (enfin!) s'en donner les moyens.
L'indécence d'une procureure favorable au groupe criminel Chryssi Avgi (Aube Dorée)
C'est tellement énorme que le Monde y a consacré un article : après des mois de témoignages, de preuves accumulées sur la structure pyramidale et le rôle décisif du Führer de Chryssi Avgi, la procureure, Adantia Ikonomou, vient tout simplement de demander la relaxe de sa direction, faisant porter la responsabilité du meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas sur le seul tueur Roupakias ! Sur le fond, rien d'étonnant : d'une part, le comportement de cette procureure lors de tout le procès consistait à tenter de mettre en contradiction les témoins antifascistes et à mettre en doute les preuves réelles (bon, d'accord il y avait une lame, mais on ne peut pas dire que c'était un couteau…), comme si ce groupe n'avait pas à son bilan des morts et des dizaines de blessés plus ou moins gravement. Mais ce mépris pour les victimes n'aurait sûrement pas pu déboucher sur une telle demande de relaxe si n'existait pas une tendance de fond de la droite au pouvoir de remettre en selle les nazis, certes sous des formes qui pourraient être un peu différentes, mais qui s'accorde parfaitement avec certains des discours nauséabonds de dirigeants actuels de cette vieille droite issue de la guerre civile…
Même si, bien sûr, le procès n'est pas terminé et que rien n'est joué, le danger d'une relaxe existe désormais… avec en prime le remboursement de toutes les sommes suspendues pour les anciens parlementaires de Chryssi Avgi, qui deviendrait alors immensément riche alors que ces derniers mois, elle ferme peu à peu ses locaux sous la pression des mobilisations locales et de ses difficultés financières. Des appels à mobilisation ont été lancés : samedi 21, nous étions environ 2000 au centre d'Athènes, pour un rassemblement appelé par des organisations antifascistes (Keerfa) et la gauche révolutionnaire et radicale (NAR, SEK…), mais ni par Syriza ni par le KKE. Un premier pas certes encourageant -avec des interventions battantes, comme lorsque Petros Konstantinou (Keerfa) a rappelé que le procureur qui avait « innocenté » les assassins du député de gauche Lambrakis (1963, cf le livre de Vassilikos et le film de Kosta Gavras, Z) était ensuite devenu ministre de la junte fasciste (1967- 1974). Mais le fait que ce rassemblement ait réussi l'exploit de partir ensuite en deux manifs différentes permet de mesurer les efforts que nous sommes encore trop peu à prodiguer pour l'unité d'action antifasciste la plus large, qui devient urgente !
Une police bafouant tous les droits démocratiques
On en a parlé ici dès l'été : l'un des axes principaux, voire obsessionnel, du programme de Mitsotakis, c'est une attaque assumée, violente et durable contre les droits démocratiques, droits civiques, droits des travailleurEs, libertés universitaires… À cet effet, a été nommé un Castaner grec : l'ancien Premier ministre socialiste du gouvernement pro-troïka droite-Pasok, Chrsyssoïdis, revendiquant sans pudeur le droit aux violences policières… qu'il nie d'ailleurs systématiquement, même contre les témoignages filmés qui s'accumulent. Et le slogan sécuritaire de la droite rappelle de bien sombres périodes : Loi et ordre…
De fait, entre le programme continu d'expulsions de lieux occupés (à Exarcheia, les opérations continuent, dans un quartier occupé par les uniformes verdâtres et devenant zone chloroformée, malgré quelques mobilisations peu fournies) et interventions dans des facs (comme à Asoee, fac d'éco où les étudiantEs ont d'ailleurs repoussé les flics !), la réalité quotidienne, ce sont les libertés totales accordées à la police pour contrôler qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut. Son grand plaisir, ces dernières semaines, c'est de mettre à nu des personnes contrôlées, de tout faire pour humilier les jeunes et les moins jeunes, et certains flics se croient tellement tout permis qu'on les entend parler avec plaisir du sentiment de vivre sous la junte… La liste de leurs exactions s'allonge de jour en jour, les deux dernières sont exemplaires : d'un côté, des policiers du poste de la place Omonia se sont amusés à torturer une handicapée, et l'affaire commence à faire tant de bruit que les tortionnaires en uniforme auraient été arrêtés. De l'autre, une opération d'expulsion dans le quartier de Koukaki a fait ouvrir les yeux plus largement sur ces opérations de type militaire : pour atteindre la maison occupée, les commandos sont tout simplement passés par la maison voisine, déshabillant et frappant le propriétaire qui refusait qu'ils passent par sa terrasse sans autorisation judiciaire. L'affaire fait grand bruit, d'autant que la victime est un cinéaste connu… et pas de gauche !
Face à ce climat qui rapproche le gouvernement grec des Orban et des Bolsonaro, une mobilisation diverse commence à poindre : même les eurodéputés (sociaux-démocrates, verts, eurogroupe de la gauche) ont écrit à Mitsotakis pour dénoncer des faits qui dépassent les seuls droits des victimes et remettent en cause le sens même de l'état de droit. Ça ne mange pas de pain, mais il est urgent que sur le plan international, l'image voulue d'un gouvernement de « centre droit » soit remise en cause pour montrer la dérive d’extrême droite déroulée par ce gouvernement, et le mouvement ouvrier international a un rôle crucial à jouer. Sur place, face à un ministre des flics (officiellement, ministre « de la protection du Citoyen » !…) imperturbable, la mobilisation commence à s'organiser, mais là encore, elle est largement insuffisante : récemment, une réunion unitaire n'a regroupé que la seule gauche radicale et révolutionnaire, le KKE et Syriza brillant par leur absence… Pourtant, on peut penser qu'une campagne unitaire doit désormais se lancer avec un objectif précis : face à tous les faits indignes couverts par Chryssoïdis, l'exigence de sa démission est une demande minimum, et on peut penser que gagner une telle bataille serait un facteur d'affaiblissement sérieux de la droite au pouvoir, tant celle-ci se base sur la répression des droits : son objectif désormais, c'est non seulement la limitation des manifs, mais carrément la restriction du droit de grève.
Métro de Thessalonique : contre les projets destructeurs des talibans de Koulis !
Une fois n'est pas coutume : la bataille pour les droits passe aussi aujourd'hui par la défense d'un site archéologique qui risque d'être détruit de par la volonté d'une droite soucieuse des seuls profits. En effet, à l'occasion de la construction d'une ligne de métro à Thessalonique, ville qui n'a jamais cessé d'être un grand pôle vivant depuis sa fondation au IVe siècle avant J.-C., ont été découverts de très importants vestiges byzantins, découverte saluée par la communauté archéologique internationale : les archéologues, l'ancien maire de la ville et la société de construction du métro s'étaient alors mis d'accord pour prendre le temps nécessaire pour consolider le site et bâtir la station de métro autour de ces vestiges, comme cela a pu être fait à d'autres occasions à Athènes, ce qui fait d'ailleurs de certaine stations athéniennes des musées vivants ! Face à eux, une alliance d'intérêts réactionnaires et économiques étaient pour décoller les vestiges et aller les exposer dans un musée militaire ! Or, lors de son discours de rentrée à la foire internationale de Thessalonique, le Premier ministre Mitsotakis, connu sous le surnom de Koulis, et dont l'ouverture culturelle n'est certes pas la qualité la plus connue, annonçait sans que les instances archéologiques en aient été informées que les vestiges seraient décollés et « replacés » une fois que la station serait prête !
Stupeur de la communauté scientifique devant la perspective d'un tel massacre, contraire à toutes les recommandation scientifiques. Les raisons : un gain de temps de trois ans, donc de très substantielles économies. Mais aussi, sans aucun doute, tout le petit esprit revanchard de cette droite sans envergure, qui voudrait ainsi venger l'humiliation faite à son ancien chef Samaras quand ce dernier avait voulu faire croire, dans le cadre de sa politique nationaliste, qu'on avait découvert en Macédoine (grecque, bien sûr !) le tombeau d'Alexandre le Grand ! Et on a vu ces dernières semaines la direction du ministère de la culture mener une véritable politique visant à terroriser les membres du Conseil archéologique central (KAS) … qui a fini par voter pour cette solution digne des talibans décapitant les statues !
Face à cette mesure, reflet d'une conception culturelle qui voit les découvertes archéologiques comme l'occasion d'ouvrir un Disneyland, de nombreux habitantEs de Thessalonique, de nombreuses associations de défense de l'environnement naturel et historique, le Syndicat national des Archéologues, de nombreux scientifiques du monde entier se sont mobilisés et se mobilisent pour faire revenir le gouvernement sur cette décision catastrophique. Dans le contexte actuel, cette bataille ne doit surtout pas être considérée comme secondaire ou « pittoresque » : ses enjeux culturels et politiques sont au premier plan, et un soutien international est là aussi indispensable !
On le voit : si l'année 2019 se finit sans que le mouvement ouvrier, sonné par la politique du gouvernement Syriza puis assommé par la victoire de la droite, ait pu encore se relancer dans de grandes mobilisations, les actuelles batailles pour le respect des droits démocratiques élémentaires, les droits des travailleurs et travailleuses, le respect de l'environnement naturel (batailles aussi contre l'installation de parcs géants d'éoliennes sur des montagnes…) et historique peuvent et doivent contribuer à redonner confiance dans les luttes de masse, seul moyen pour commencer à faire reculer la droite talibane grecque !
À Athènes, A. Sartzekis