Publié le Mercredi 7 janvier 2015 à 13h03.

Grèce : “le peuple porte ses espoirs sur le vote Syriza, mais le rapport de forces n’a pas changé”

Entretien. Les élections législatives ayant lieu dans moins de trois semaines, le week-end dernier se sont tenues diverses réunions, dont les AG locales d’Antarsya (nous y reviendrons la semaine prochaine) et le Comité central de Syriza, suivi d’une conférence nationale. Initialement prévue sur deux jours, cette conférence nationale s’est conclue le samedi soir, ce qui a provoqué des protestations. Au-delà de différentes annonces, dont une série de mesures technocratiques sur la réforme de l’État (sans mention du moindre contrôle ouvrier !), et alors que la période très complexe ouvre à bien des questions, la direction de Syriza a ainsi préféré donner l’image d’un parti qui parle d’une seule voix. Pour parler de cette période et des perspectives, nous avons interrogé Antonis Davanellos, membre de la direction de DEA, l’une des composantes révolutionnaires de la Plateforme de gauche de Syriza.

Quelles sont les principales décisions de ce week-end ?

La principale décision du Comité central puis de la conférence de Syriza, c’est que la campagne se fera sur la base du programme de Salonique, sur des questions liées aux acquis démocratiques et aux libertés, ainsi que sur le financement du programme. La politique de Syriza est officiellement la suivante : promesse de suppression des memorandums et des mesures réactionnaires, refus de demander de nouveaux prêts ou d’un nouveau memorandum, bataille sur la question de la dette au niveau européen, en liant la question de la dette grecque à celle de l’Italie, de la France, du Portugal… La seule question sur laquelle il peut y avoir négociation avec l’UE et les prêteurs est celle de la dette, la suppression des memorandums et des mesures réactionnaires ne relèvent que de la décision d’un gouvernement de gauche.

Cette ligne est clairement celle d’un affrontement avec le système intérieur et international, et je pense que la direction de Syriza va subir des pressions pour reculer et aller vers un compromis avec l’Union européenne. Mais il est important de voir que cela ne s’est pas produit : ce week-end a montré une nouvelle fois que Syriza en tant que parti est une réalité que personne ne peut sous-estimer !

Des confrontations avec l’aile gauche ont eu lieu sur le fait que pour celle-ci, il est impossible d’accepter sur les listes des ex-sociaux-démocrates, même si ceux ci en sont venus à rompre avec le Pasok : le cœur de nos alliances doit être avec le KKE (PC grec) et Antarsya.

Peux-tu rappeler les points clés du programme de Salonique ?

Ce sont des engagements pris publiquement par Tsipras en septembre : ramener les salaires et les retraites à leur niveau d’avant la crise ; retour aux conventions collectives telles qu’elles existaient ; retour à un seuil minimum de revenu imposable de 12 000 euros ; suppression de l’insupportable taxe sur le fioul de chauffage. Pour les couches populaires les plus pauvres, des mesures d’urgence anti-crise comme la gratuité de l’eau et de l’électricité, ainsi que le gel des dettes.

Ces mesures se placent du point de vue de la direction de Syriza dans une conception de relance de l’économie que certains pourraient dire keynésienne, mais j’estime que leur importance aux yeux de la société grecque est ce message politique : l’austérité peut être renversée. C’est un tel message, je crois, qu’une victoire de Syriza pourrait envoyer à toute l’Europe.

Quels sont les débats dans la Plateforme de gauche ?

Elle avance trois points principaux : tout d’abord que le projet politique de Syriza doit être soutenu par un mouvement de classe à la base. Ensuite, la nécessaire radicalisation du programme de Syriza, avec insistance sur l’annulation de la plus grande partie de la dette, la nationalisation des banques et le retour en arrière sur les privatisations. Enfin, que les seules alliances politiques sont à chercher avec la gauche : l’objectif est un front commun Syriza / KKE / Antarsya, d’où le mot d’ordre de la Plateforme d’un gouvernement de gauche et non pas « de sauvetage national » ou pire encore « d’unité nationale »...

Par ailleurs apparaissent ces derniers temps dans Syriza d’autres forces radicales provenant de la majorité et insistant sur les questions de démocratie et de fonctionnement du parti.

On peut lire (dans le journal Epochi lié à la majorité de Syriza) que la seule arme de la droite, ce sont les divisions internes et que Syriza doit parler d’une seule voix. Que dire par rapport à cet appel à taire les oppositions de gauche ?

Il est clair que dans l’actuel combat politique, un certain degré de discipline est indispensable. En même temps, on a obtenu dans Syriza la garantie du droit de tendance, la possibilité d’oppositions politiques qui sur des thèmes de première importance, doivent pouvoir être fermes. 

à mon avis, ce n’est pas un hasard si ces derniers temps, les questions de discipline au sein de Syriza correspondent à un déplacement vers la droite, avec des déclarations de cadres ou députés promouvant publiquement la nécessité d’un compromis avec la bourgeoisie, surtout européenne. Au contraire, la Plateforme soutient la prise de décisions collective et le fonctionnement du parti de bas en haut. Nous avons confiance dans la base et on peut considérer que le combat politique pour l’orientation de Syriza n’est pas définitivement tranché.

à lire les textes de DEA ou R-­Project, on dirait que le mouvement de masse s’enthousiasme pour Syriza et sa possible venue au pouvoir. Penses-tu vraiment que ce soit le cas ?

à vrai dire, le mouvement de masse a reculé ces derniers temps, au moins au niveau central. Malgré tout, il existe d’importants combats dans différents secteurs et régions. Ce que cela traduit à mon avis, c’est que provisoirement le peuple porte ses espoirs sur le vote Syriza, mais le rapport de forces n’a pas changé : la première période d’un gouvernement de gauche sera donc cruciale, avec d’importantes luttes, de fortes demandes et des espoirs auxquels il faudra rendre justice.

Ainsi, le caractère du gouvernement de gauche est un pari ouvert : il sera jugé sur la politique de Syriza mais principalement par la résistance et les luttes des travailleurEs.

Quel rôle donnes-tu à la solidarité en Europe ?

La lutte pour mettre fin à l’austérité peut commencer en Grèce, mais elle ne pourra pas être menée à terme s’il n’y a pas de mobilisations de grandes forces du mouvement ouvrier dans toute l’Europe. Tout notre espoir, c’est que la victoire politique en Grèce soit suivie d’un effet dominos de changements en Europe !

Nous demandons donc la solidarité de nos camarades européens qui ne doivent pas laisser les grandes puissances étrangler le gouvernement de la gauche et le mouvement ouvrier en Grèce. Mais cela ne peut être que le début d’un affrontement global contre l’austérité barbare sur tout le continent, et nous savons de par l’histoire que cette guerre peut certes commencer dans un petit pays mais qu’elle sera définitivement gagnée dans les rues de Rome, de Madrid et de Paris. C’est l’heure d’agir : voilà ce que peuvent attendre de mieux Syriza et la gauche grecque !

Propos recueillis par Tassos Anastassiadis et Andreas Sartzekis