Publié le Vendredi 16 mars 2012 à 10h20.

Grèves dans le public, le bon modèle allemand

Alors que l’Allemagne se présente, sur le plan international, comme un pays qui serait (relativement) « épargné par la crise » et fier de ses records d’exportation, le revers de la médaille est bien visible. L’absence de tout salaire minimum légal – comparable au Smic français – et des rémunérations extrêmement basses dans certains secteurs (notamment ceux des services) font partie du décor. À l’heure actuelle, 2,6 millions de salariés sont d’ailleurs obligés de cumuler deux emplois afin de pouvoir joindre, tant bien que mal, les deux bouts. Par ailleurs, le droit de grève allemand est l’un des plus réactionnaires de toute l’Europe.

Les récents conflits sociaux viennent encore l’illustrer. Au début de la semaine dernière, deux séries d’événements se sont télescopés. Pendant les premiers jours de mars, la très grosse fédération syndicale des services Ver.di (Syndicat unifié des services) – affiliée à la confédération syndicale unique DGB et forte d’environ 2 millions d’adhérents – a lancé des « grèves d’avertissement ». Lundi 5 mars, dans trois régions du sud-ouest de l’Allemagne : la Hesse (autour de Francfort), le Palatinat et la Sarre, les travailleurs de l’État et des collectivités locales ont cessé le travail pendant 24 heures. Le 6 mars, c’était au tour d’autres régions d’Allemagne, surtout situées dans le Nord. Ces grèves étaient destinées à appuyer les revendications salariales : une augmentation de 6,5 % pour les salariés de l’État et des collectivités territoriales, mais 200 euros de plus pour les plus bas salaires. Lundi 12 et mardi 13 mars, deux nouveaux rounds de négociation entre employeurs (publics) et syndicat ont eu lieu. En Allemagne, une grève n’est légale que si elle est appuyée par une organisation syndicale fortement implantée dans l’entreprise ou le secteur affecté. Or, la plupart du temps, les grandes fédérations syndicales lancent d’abord des grèves courtes « d’avertissement », avant de déterminer  à la table des négociations les concessions qui seront faites « de part et d’autre ».

En même temps, se sont développées ces dernières années des organisations syndicales plus radicales par leurs formes d’action – pas nécessairement dans leur orientation politique –, mais en même temps beaucoup plus catégorielles.

Ainsi, dans le contexte des négociations salariales dans la fonction publique étatique et territoriale récemment démarrées, les contrôleurs aériens de l’aéroport de Francfort – rattachés à la fonction publique de la ville – étaient eux aussi appelés à une grève, qui a duré plusieurs jours. Dans leur cas, c’était un syndicat à taille réduite, le GdF (Gewerkschaft der Flugsicherung, Syndicat du contrôle aérien) qui appelait. Les employeurs publics et les « grands » syndicats ont conduit ensemble une campagne dure contre ce mouvement de grève « totalement irresponsable ». Le DRH actuel de la société des Aéroports de Francfort (Fraport), Herbert Mai, n’est autre que l’ancien dirigeant de la fédération syndicale ÖTV (services publics et transports), transformée en Ver.di en 2000. Le mercredi 29 février, le tribunal local a décrété la grève illégale. La société aéroportuaire ainsi que la compagnie aérienne Lufthansa menacent maintenant d’attaquer le syndicat GdF en justice, afin de réclamer plusieurs millions voire plusieurs dizaines de millions d’euros de dommages-intérêts pour des vols qui ont dû être annulés. Un mouvement de solidarité s’est constitué, autour d’un appel contre « la ruine délibérée » du GdF et un cortège est prévu dans la manifestation contre la BCE à Francfort, le 31 mars. Mais les grands syndicats affiliés à la DGB risquent de se trouver plutôt du mauvais côté dans la bagarre de solidarité qui s’annonce…

Bertold Du Ryon