Le 14 décembre, tous les syndicats de Guadeloupe – à l’exception de la CFDT – ont appelé à la grève générale. Le Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) a appuyé cet appel, avec une série de meetings pour mobiliser toute la population. La grève a été plutôt bien suivie, et la manifestation dans les rues de Pointe-à-Pitre a rassemblé plus de 5 000 personnes (ce qui est considérable dans un pays de 450 000 habitants). Cette nouvelle journée d’action a confirmé le mécontentement de nombreux salariés, et aussi des chômeurs, mères célibataires… qui subissent la pwofitasyon depuis trop longtemps. Le 4 mars 2009, un accord était signé entre les 48 organisations du LKP et les autorités, après 44 jours de grève générale. Cette mobilisation exceptionnelle nous a permis d’arracher de nombreux acquis : augmentation de 200 euros pour les bas salaires, baisse des prix, gel des loyers, prolongation des contrats aidés… Après avoir organisé des états généraux bidons, le gouvernement a commencé à contre-attaquer. La même politique d’austérité qui est imposée aux travailleurs partout sur la planète se traduit en Guadeloupe par le refus d’appliquer l’accord de 2009. Et elle a aussi un parfum de revanche. RépressionPlusieurs militants syndicaux doivent faire face à des procédures judiciaires. C’est le cas notamment des membres de l’UTHTR-UGTG, syndicat des personnels des grands hôtels touristiques de Guadeloupe. Les patrons ne leur ont pas pardonné d’avoir arraché les augmentations de 200 euros en prolongeant la grève au-delà des 44 jours. Aujourd’hui ils sont accusés d’homicide à cause d’un accident survenu sur un barrage routier en 2009. C’est aussi le cas de la dirigeante de la CGTM, le principal syndicat de la Martinique, qui fut aussi une des leaders du K5F (l’équivalent du LKP en Martinique). Elle est convoquée au tribunal le 15 décembre pour des propos prétendus racistes, en fait le slogan des grandes manifestations de 2009 : « Matinik sé ta nou, Matinik sé pa ta yo, an bann bétché pwofitè, volè, nou ké fouté yo dewò » (La Martinique est à nous, la Martinique n’est pas à eux, une bande de békés profiteurs, voleurs, nous allons les foutre dehors). Le comble du scandale, c’est que la plainte a été déposée par un membre de la famille Hayot, les békés les plus puissants des Antilles, qui ont fait leur fortune au temps de l’esclavage.Les avocats des militants subissent également les méthodes d’intimidation du pouvoir. Écoutes illégales, bousculades par les gendarmes dans les tribunaux, menaces de mort : la justice au service des riches perpétue aux Antilles les traditions coloniales les plus indignes. RiposteTous ceux qui se sont battus en 2009 ne comptent pas se laisser faire. Même si une nouvelle grève de longue durée n’est pas à l’ordre du jour pour le moment, la colère et la détermination sont bien présentes. Les deux principaux syndicats de Guadeloupe, l’UGTG et la CGTG, se sont nettement renforcés depuis 2009. Les meetings de rue organisés par le LKP attirent plusieurs centaines de personnes, deux fois par semaine. Le plus remarquable, c’est que de nombreux conflits ponctuels ont éclaté depuis septembre : à l’ONF, à Pôle Emploi, à la DDE, dans l’éducation, la santé, etc. Beaucoup font le lien entre leurs conditions de travail difficiles et la pwofitasyon en général, qui désigne à la fois le système capitaliste et la société coloniale qui se maintient en Guadeloupe. Les grèves de l’automne, en France et dans les autres pays d’Europe, ont été suivies avec attention. Les lycéens de Guadeloupe sont d’ailleurs eux aussi descendus dans la rue, tous seuls, inspirés par leurs camarades français. Organisation par en basIl y a des entreprises et des services publics où la grève du 14 décembre a été préparée par des assemblées générales. Et, pour la première fois, un rassemblement des délégués syndicaux a été organisé, le 8 décembre. Il a attiré près de 200 militants, tous syndicats et tous secteurs confondus. Cette initiative, de même que toutes les réunions tenues sur les lieux de travail, est un signe encourageant pour l’avenir du mouvement aux Antilles. En effet, notre faiblesse en 2009 consistait en une forme d’obéissance aux consignes venues d’en haut, des 48 dirigeants du LKP. Le caractère massif de la grève ne s’était pas traduit par une multiplication des initiatives par en bas. Deux ans plus tard, il semble que des militants commencent à prendre eux-mêmes les choses en main. C’est notre meilleur espoir pour abolir à terme toutes les pwofitasyon. Correspondante en Guadeloupe
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