À Haïti, ouragans et tremblements de terre ont des conséquences particulièrement graves. Pourquoi ?
La catastrophe qui vient de frapper Haïti avec l’ouragan Matthews a fait sans doute un millier de mortEs (au 10 octobre, le bilan « officiel » est de 372 victimes, mais d’autres chiffres circulent...). S’y ajoutent des destructions énormes qui ont créé des dizaines de milliers de sans-abri et entraîné ou renforcé les pénuries de médicaments et de nourriture, tandis que se précise la menace d’un regain de l’épidémie de choléra liée à la pénurie d’eau potable.
L’île est régulièrement affectée par des catastrophes naturelles : elle est située sur le parcours des ouragans, son territoire est très exposé aux tremblements de terre (celui de 2010, particulièrement grave, a fait entre 200 000 et 300 000 mortEs).
Une fatalité ?
Certains sont tentés d’évoquer la fatalité d’un « pays maudit » de par sa situation géographique. D’autres, ou les mêmes, font justement remarquer que des ouragans ou des séismes d’ampleur similaire font beaucoup plus de mortEs en Haïti que dans d’autres pays... Mais en tirent des conclusions, à la limite du racisme, sur l’incapacité des Haïtiens à gérer leurs affaires.
Comme si l’ingérence impérialiste n’avait pas été permanente depuis 1804, comme vient de le rappeler au journal le Monde le cinéaste Raoul Peck : « Nous payons également une ingérence étrangère qui n’a jamais cessé depuis la fondation même de cette République rebelle ».
L’assistance internationale permet de faire face à certaines situations d’urgence. Elle est ainsi indispensable après Matthews, mais ne règle aucun problème de fond. Bill Clinton fut une espèce de chef d’orchestre de l’« aide » internationale après 2010 en tant qu’envoyé spécial des Nation unies et co-président de la Commission haïtienne de reconstruction et de développement. Cela sans même parler du rôle de la Fondation Clinton en Haïti et des controverses de conflit d’intérêts et de gaspillage financier (voire de malversations) qu’il a suscitées...
Une classe dirigeante prédatrice
Enfin, si les Haïtiens ne sont bien sûr, pas plus qu’un autre peuple, incapables de se gouverner, les responsabilités de la classe dirigeante locale et des gouvernements qui se sont succédé sont majeures. Tous ces gens sont avant tout préoccupés de s’enrichir vite et de consolider leur propre position. Et si une majorité de la population est pauvre, certains sont très riches. Au moment de l’ouragan, Haïti était en période électorale, ayant à sa tête un gouvernement provisoire depuis la fin du mandat du Président Michel Martelly le 14 mai dernier.
En janvier de cette année, le sismologue haïtien Claude Prépetit s’inquiétait de l’absence de mesures politiques face au risque sismique six ans après le tremblement de terre de 2010 : « C’est tout à fait frustrant de lancer les alertes et de ne pas voir de réactions, car notre finalité n’est pas de faire de belles cartes, mais, en tant que citoyen, c’est de voir que des mesures sont prises pour limiter les dégâts. »
Un contre-exemple dans la région : Matthews a également touché Cuba. Même scénario que pour Haïti : des vents soufflant jusqu’à 300 kilomètres/heure et de fortes pluies. La ville de Baracoa (82 000 habitantEs) a été quasiment détruite. Les voies de communication et l’agriculture ont souffert, mais il n’y a eu aucun décès recensé. Les autorités avaient évacué des centaines de milliers d’habitantEs avant la tempête. Il ne s’agit pas d’idéaliser le régime cubain, mais il est reconnu que les ouragans ne font à Cuba que très peu de mortEs, cela grâce au travail systématique de prévention des autorités.
La nature est donc loin de tout expliquer. Si Haïti est un « pays maudit », impérialisme et classe dirigeante locale en sont largement responsables...
Henri Wilno