Boris Johnson est Premier ministre du Royaume-Uni depuis fin juillet. Choisi par quelques dizaines de milliers de membres du Parti conservateur, il a succédé à Theresa May qui avait repris le poste de David Cameron, démissionnaire suite au référendum en 2016. Encore fort, alors, d’une majorité d’une voix à la Chambre des communes, Johnson a annoncé fin août une fermeture du Parlement pendant cinq semaines afin d’assurer une sortie de l’UE, quoi qu’il arrive, le 31 octobre prochain. Scandale général jusque dans les rangs des conservateurs.
Vingt et un députés ont été exclus et n’auront donc pas l’investiture du parti lors des prochaines législatives. En d’autres termes : un ex-journaliste raté, menteur chronique (autrefois renvoyé du Times puis du Daily Telegraph précisément pour cette raison), raciste, islamophobe, sexiste et homophobe assumé et jovial, sans mandat électoral national, sans majorité parlementaire, suspend le Parlement et congédie sommairement ses collègues réfractaires. Jo Johnson, frère de Boris, député et membre du gouvernement, a démissionné, suivi deux jours plus tard par la ministre du Travail et des retraites, Amber Rudd. À ce stade, on se sait pas encore qui, de Shakespeare ou des Monty Python, serait à même de produire le portrait le plus apte des premières heures du gouvernement Johnson…
Vers de nouvelles législatives ?
Parmi les stratagèmes destinés à imposer une sortie sans accord (après avoir été mis en minorité sur l’échéance du 31 octobre), il y a la mise au vote d’un projet de nouvelles élections législatives anticipées. Elles sont réclamées par l’opposition travailliste ou le Scottish National Party (SNP) écossais depuis des mois. Mais il est clairement entendu par tous (Labour, SNP, Verts, Lib Dems) que la mise en route du processus électoral offrirait une voie supplémentaire pour suspendre l’activité parlementaire. Impossible alors de contrôler l’avancement de « négociations » avec l’UE…
Pour le gouvernement, ce refus temporaire de l’opposition permet de tenter de faire passer cette dernière pour inconséquente et fuyarde et d’anticiper sa propre campagne sur ce terrain polémique. Pour l’opposition, il s’agit non seulement d’une précaution technique, mais ce refus permet aussi de prolonger l’enfermement du tyranneau dans sa propre incapacité à mener quelque initiative que ce soit. Les élections législatives ne sauraient cependant tarder et se décideront probablement – par une motion de censure – dès la certitude formelle acquise du blocage de la sortie version Johnson.
Surenchères sordides
Ces surenchères sordides ne sont pas exemptes de rationalité. Johnson et son équipe visent le repositionnement de leur parti autour d’un pôle d’extrême droite nationaliste, soit disponible pour une alliance avec le Brexit Party de Nigel Farrage, soit en capacité de gagner son électorat. À n’en pas douter, ces dirigeants-là ce retrouveraient à merveille dans l’UE d’Orbán, de l’Afd et du RN… Car c’est bien une possibilité qu’il faut envisager : soit l’implosion du Parti conservateur et le grotesque de Johnson finissent par anéantir toute chance de reconduction de la droite au pouvoir et une norme politique et morale se redéfinit autour de la gauche travailliste qui propose le seul compromis viable du moment ; soit, exactement au contraire, l’épisode en cours vient alimenter une romance ultra-réactionnaire dans lequel Johnson mène une lutte solitaire héroïque pour le peuple (national) contre les forces – la gauche travailliste, en particulier – qui tentent de faire obstacle à la « démocratie » référendaire. Dans ce cas, les outrances et bouffonneries d’un Johnson pourraient valoir comme autant d’invitations à passer à un régime inédit d’agression sociale et raciste pleinement et ouvertement assumé, débarrassé du dernier vernis démocratique. On sait que l’on peut compter sur l’appui sans réserve d’un large secteur de la presse pour cette version qui est depuis longtemps déjà la sienne, en millions d’exemplaires chaque matin.
Thierry Labica