Publié le Mercredi 20 juillet 2022 à 18h00.

Italie : la crise du gouvernement Draghi

Retour sur la crise politique en Italie, où le Premier ministre Mario Draghi a présenté, la semaine dernière, sa démission au président de la République, Sergio Mattarella, qui ne l’a pas acceptée.

Le gouvernement de Mario Draghi a été constitué en février 2021 par la bourgeoisie afin d’œuvrer à une restructuration profonde du capitalisme italien au moyen d’une part considérable de fonds européens (presque 200 milliards d’euros) visant à soutenir financièrement les entreprises les plus performantes, imposer une flexibilisation encore plus importante du travail ainsi que de nouvelles et profondes contre-reformes libérales en faveur du capital.

On récolte ce que l’on sème

Il s’agissait d’un gouvernement d’« union nationale » dans lequel étaient présents tous les principaux partis à l’exception de Fratelli d’Italia, un parti d’extrême droite, qui a toutefois constitué une opposition de façade, en convergeant largement sur l’ensemble des mesures adoptées.

Même dans une phase « normale » du capitalisme, ce projet aurait provoqué de grandes contradictions sociales, mais face à des événements majeurs comme la guerre, les conflits inter-impérialistes, la crise climatique et énergétique, le regain de l’inflation (8%), et cela dans un contexte de persistance de la pandémie, il ne pouvait que plonger le pays dans une crise sociale dramatique.

Les politiques de Draghi ont été honteuses, à commencer par la « non-gestion » de la crise sanitaire, l'augmentation des dépenses militaires au détriment des dépenses sociales (santé et école), la prétendue autonomie différenciée des régions qui va diviser encore plus le pays et, enfin, les politiques économiques qui ont favorisé la baisse des salaires et des retraites et la généralisation de la précarité.

Le gouvernement commence désormais à récolter ce qu’il a semé. Il porte la responsabilité d’un effondrement social dramatique dont témoignent les données de l'Institut national de la sécurité sociale (INPS) et de l'Institut des statistiques : 5,6 millions de pauvres, un tiers des travailleurEs gagnant moins de 1000 euros par mois, une grande majorité de nouveaux contrats de travail de très courte durée, des salaires et des allocations de retraite parmi les plus faibles d’Europe, que l'explosion de l'inflation a contribué à faire chuter.

La crise n’est pas finie

Le malaise social, la colère et le désespoir traversent de larges secteurs de la société, à tel point qu'au sein du gouvernement, craignant des soulèvements populaires incontrôlables, on a commencé à parler d'un « agenda social », c'est-à-dire de procéder à quelques réductions d'impôts pour soulager un peu les salaires et les retraites, mais en diminuant encore plus les ressources publiques et sans s'attaquer d'aucune manière aux rentes et aux profits.

Dans ce contexte de crise sociale, tous les partis soutenant le gouvernement (de droite comme de centre-gauche) sont entrés en conflit, chacun étant à la recherche de propositions et de positions tactiques pour se démarquer politiquement des autres alors qu'ils devront affronter prochainement des élections générales (au plus tard au printemps 2023), d'autant plus que FdI (Fratelli d’Italia), dans les rangs de l'opposition, bien que seulement en apparence, est en tête des sondages depuis de nombreux mois.

Le M5S (MoVimento 5 stelle – Mouvement 5 étoiles) de Giuseppe Conte, le parti de la contestation indifférenciée qui combine des thèmes partiellement valables avec des objectifs et des pratiques pouvant être nuisibles, force majoritaire dans trois gouvernements différents, soumis à des opérations visant à le transformer de plus en plus en un parti bourgeois « normal » et assumant un rôle de plus en plus marginal, se retrouve confronté à la menace d’un effondrement électoral. Poussé par sa base et dans l’espoir de récupérer le soutien populaire, celui-ci tente alors de sortir de l'impasse avec une sorte de rupture de continuité. D'où la crise politique du gouvernement, la démission de Draghi, son renvoi devant les Chambres par le Président de la République, un climat conflictuel où tous se positionnent contre. Nous verrons dans les prochains jours si le Président de la République devra dissoudre les deux chambres et convoquer des élections générales.

Barrer la route à la droite et à l’extrême droite

Beaucoup se mobilisent pour recomposer le gouvernement et garder l'ancien banquier en place ; les intérêts de la bourgeoisie sont plus que jamais ceux de travailler avec un gouvernement Draghi permettant de faire passer la loi financière et la poursuite du plan dit de relance et de résilience nationale (PNR). Ce n'est d’ailleurs pas une coïncidence si les dirigeants occidentaux et les patrons d’une partie du monde sont en train de soutenir et de pousser Draghi à poursuivre le « sale » boulot qu'il a commencé à accomplir pour les capitalistes.

Quelle que soit la conclusion de la crise politique, l'essentiel pour les classes laborieuses est de savoir si elles auront ou pas la force de construire une mobilisation sociale capable de s'opposer aux politiques de la bourgeoisie et de ses gouvernements, de lutter contre la vie chère, contre la pauvreté, contre les différentes formes de précarité, pour de véritables augmentations de salaires arrachées aux profits des patrons, pour une revalorisation des retraites et pour imposer une réelle taxation des fortunes, des rentes et des profits capitalistes. C'est aussi la seule façon de barrer la route à la droite et à l'extrême droite en empêchant que l'apathie et la colère de larges couches de la société ne s'orientent dans cette direction très dangereuse.