Publié le Samedi 2 octobre 2010 à 23h11.

Kenya : référendum...et après ?

 

Le changement de la Constitution au Kenya vient de loin. Il a été porté dans les années 80 par les militant-e-s de la société civile, engagé-e-s dans la lutte pour la défense des droits humains et pour le multipartisme, contre le gouvernement de Daniel Arap Moi et du parti unique la KANU. En 1997, se constitue la 4Cs « coalition des citoyens pour le changement constitutionnel » qui en fit un préalable avant les élections de 1997. La nouvelle Constitution adoptée lors du suffrage universel du 4 août par 67,25 % des votant-e-s serait, pour beaucoup d’observateurs, la plus progressiste après celle de l’Afrique du Sud.

A certains égards, ce n’est pas faux, car cette nouvelle Constitution réaffirme les libertés fondamentales du droit d’association, d’expression, de manifestation, de la presse etc. Si elle s’inscrit dans le cadre d’un régime présidentiel, elle en restreint cependant le pouvoir: en premier lieu par la limitation du nombre de mandats à deux; ensuite par la possibilité pour l’Assemblée Nationale de destituer le président; enfin l’Assemblée a par ailleurs un droit de veto sur la nomination des hauts fonctionnaires tels les procureurs, gouverneurs régionaux etc. Cette Constitution prévoit la création d’un Sénat représentant d’une part les contés du pays et d’autre part, les partis politiques représentés à la proportionnelle et la création d’une Cours Suprême.

Des nouveaux droits apparaissent: la transmission de la mère à l’enfant de la nationalité, la possibilité d’un droit à l’avortement s’il existe un risque de santé pour la mère. Cette disposition, et cette autre prévoyant le maintien des tribunaux de Cadis (tribunal musulman pour les affaires de la vie quotidienne) ont déclenché l’ire des églises chrétiennes, qui ont mené une campagne virulente contre l’adoption de la nouvelle Constitution tout comme l’ancien dictateur Arap Moi.

Mais si le résultat du référendum a été salué par l’ensemble des chancelleries occidentales, il ne règle aucunement les problèmes fondamentaux des kenyan-e-s. En effet, cette Constitution s’inscrit dans le cadre politique capitaliste et se refuse à garantir la satisfaction des besoins sociaux des populations. Le référendum a surtout servi à légitimer une classe politique qui en 2007, lors des élections présidentielles, n’avait pas hésité une seconde à susciter les haines ethniques entre la population pour tenter de conquérir le pouvoir, ce qui vaut d’ailleurs une ouverture d’enquête de la Cour Pénale Internationale.

La nouvelle Constitution soulève aussi des interrogations concernant la question de la terre qui est un sujet de la plus grande importance pour un pays où plus de 70 % de la population est rurale. Les régimes de propriété de la terre sont d’une extrême complexité avec les anciennes «crown land» qui sont maintenant des terres gouvernementales, les «trust land», sur lesquelles sont les différentes communautés mais qui sont gérées par les administrations provinciales et enfin, les terres privées. En 2004 le rapport Ndungu a fait le point sur les problèmes fonciers. Il a mis en évidence, le trafic de titres de propriété, la corruption, l’injustice et la politisation dans la distribution des terres sous les régimes de Kenyatta, après l’indépendance, et sous celui de son successeur Arap Moi. Le rapport relate aussi des expulsions de terre de certaines communautés au profit d’autres.

La Constitution, qui entrera en vigueur en 2012, doit instaurer une commission nationale de la terre, indépendante, qui devrait répondre aux problèmes fonciers qui sont sources de multiples disputes parfois violentes entre ethnies, et ont été instrumentalisées par les dirigeants des différents partis bourgeois qui se disputent le pouvoir. La méfiance est donc grande parmi la population sur la capacité de cet Etat bureaucratique et corrompu, plus prompt à créer des problèmes qu’à les résoudre de manière justes, en offrant des solutions acceptables pour tous.

Les solutions aux problèmes sociaux et fonciers passeront par une mobilisation des populations, pour imposer une autre répartition des richesses, en s’affranchissant des réflexes de replis ethniques qui ne servent que les cliques des factions bourgeoises.

Paul Martial