Quelque chose a imperceptiblement changé dans les villes italiennes.
Il suffit de s’aventurer dans le quartier le plus proche ou de prendre un autobus le matin pour se rendre à son travail (malgré l’arrêt des activités « non essentielles », les statistiques estiment qu’en Italie 13 millions de personnes travaillent tous les jours), pour remarquer que le trafic a augmenté et qu’il y a vraiment beaucoup plus de gens dans les rues, au mépris des amendes. Les tableaux sombres et déserts d’il y a quelques semaines semblent faire partie du passé. À cause du printemps ? Non : de la fièvre de la « phase 2 » que les médias et les « influenceurs » d’internet nous vendent comme imminente, sûre et capable de réparer tous les dégâts de ces derniers mois.
La Confindustria à la manœuvre
Il existe une véritable campagne, sponsorisée par la Confindustria [l’équivalent du Medef en Italie], pour redémarrer tout et tout de suite. Voilà comment on vend aux gens une image trompeuse : en somme, la « phase 2 » est un faux. Elle se fonde sur des projections statistiques très peu fiables. Les gens continuent à s’inquiéter, à être hospitalisés (même s’il y en a un peu moins, c’est vrai) et à mourir. La fameuse « courbe » ne baisse que lentement et beaucoup (dont les médecins du Piémont et de Brescia) avertissent du danger d’une reprise mortelle de la maladie si on baisse la garde.La « phase 2 » est un souhait légitime pour ceux qui subissent depuis presque deux mois un isolement parfois cruel – avec des personnes chères en fin de vie ou décédées – qui ont des problèmes de subsistance et de maigres revenus. Mais, pour les patrons et leurs représentants qui veulent vraiment réduire leurs pertes au minimum, il s’agit d’une envie obscène d’argent et de pouvoir. L’élection du nouveau président de la Confindustria, Carlo Bonomi, qui est considéré comme un « faucon » et qui est le représentant direct de la grande industrie du Nord, n’est pas le fait du hasard. Voilà la vraie direction de campagne de ce terrible matraquage concernant la « phase 2 ».
Une « task force » de banquiers
Le gouvernement a confié le plan et les rythmes de réouverture à une « task force » d’experts, qui compte essentiellement des entrepreneurs, des financiers et des « techniciens » spécialisés en sociologie et psychologie de masse, avec à sa tête Vittorio Colao, ex-administrateur délégué de Vodafone, valeur montante du capitalisme italien. Ce n’est pas par hasard que cette commission ne comporte aucun représentant des syndicats ou du monde scientifique ou médical. C’est une histoire interne aux classes dominantes, qui doivent décider elles-mêmes de leurs propres affaires.
Et les décisions ont déjà été plus ou moins prises : le 27 avril, c’est le secteur du bâtiment qui reprendra ; le 4 mai toute l’industrie et la manufacture ; au cours de la semaine suivante, progressivement, les commerces ; la réouverture des bars et des restaurants semble encore loin. Les écoles ne rouvriront qu’en septembre. On fait aussi quelques cadeaux au commun des mortels : on pourra faire du sport, circuler dans les rues – en prenant des précautions – munis de masques et de gants et, vers la fin mai, on pourra peut-être même inviter quelques amis à dîner. Puis il y a les promesses : les entreprises seront mises en « sécurité », dans les transports on fera respecter les distances (comment ?), on procèdera à 150 000 tests sérologiques pour évaluer l’étendue et l’extension de la contagion, on produira des dizaines de millions de masques. Mais, vu comment les choses se sont passées ces derniers mois, tout cela ressemble à une lettre au Père Noël.
Un méli-mélo très dangereux
Cependant, quoi qu’en disent les experts du gouvernement, la réouverture sera sans aucun doute une affaire délicate. Parmi les problèmes les plus importants, il y a celui des transports surchargés dans les régions les plus industrialisées – thème crucial du point de vue sanitaire – qui est abordé avec une légèreté qui fait froid dans le dos. Le retour des services de santé à leurs fonctions « normales », en admettant que l’urgence du coronavirus s’éloigne vraiment, n’est même pas pris en compte. La sécurité sanitaire de millions de travailleurEs est tout simplement renvoyée à des négociations entreprise par entreprise, sans aucun contrôle public, et c’est – bien sûr – le plus fort qui gagnera. En somme, un méli-mélo très dangereux, dicté par une classe patronale préoccupée par la concurrence interne et internationale, et qui n’arrive pas à voir plus loin que le bout de son nez. Il faut dire que les directions des principales organisations syndicales, en ne s’opposant pas sérieusement à cette orientation, partagent la même myopie et, en fin de compte, prennent des responsabilités du même ordre.
Traduction Bernard Chamayou