Des morts par dizaines, des blesséEs par centaines, civils ou militaires : ce qui n’était il y a huit jours que des accrochages inquiétants bascule désormais vers la vraie guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, dans le Caucase sud, pour le contrôle de l’enclave du Haut-Karabakh, une ancienne « République autonome » à l’époque de l’URSS, appartenant à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan mais peuplée très majoritairement d’Arméniens.
Il y a trente ans, l’effondrement de l’URSS avait déclenché un embrasement nationaliste guerrier qui s’était soldé par 30 000 morts et des déplacements de centaines de milliers de personnes. Le Haut-Karabakh a déclaré unilatéralement son indépendance, ce que l’État azerbaïdjanais a contesté et qui n’a pas été reconnu internationalement – par l’Arménie non plus. Indépendance de cette enclave montagneuse ? Retour à l’Azerbaïdjan ? Rattachement à l’Arménie ? Depuis un cessez-le feu le 16 mai 1994, la question reste béante. Des départs de feu n’ont cessé de marquer l’actualité, les derniers en avril 2016 et plus récemment en juillet 2020.
Chants guerriers locaux
Le conflit est donc entré dans une guerre ouverte entre l’Azerbaïdjan (10 millions d’habitantEs) et l’Arménie (3 millions d’habitantEs). À l’instar des autorités du Karabakh, les gouvernants de Bakou et d’Erevan ont décrété la mobilisation générale (à commencer par les jeunes de dix-huit ans) et promulgué des lois martiales et couvre-feux. Les dirigeants Nikol Pachinian et Ilham Aliev brandissent les morts du camp adverse comme des trophées. Chacun y va de son ultra-nationalisme, de la prétendue invincibilité et gloire de ses « fils héroïques ». Et les religions s’invitent : chrétiens du côté arménien (bien que toutes et tous ne le soient pas !), musulmans de l’autre (idem).
Nul ne peut dire quel engrenage au juste a mené là. Pour des dirigeants de pays très pauvres, où les richesses pétrolières (en ce qui concerne l’Azerbaïdjan) déclinent et ne profitent qu’à une minorité oligarchique, il est tentant de nourrir la population de chants patriotiques… Mais des médias se font déjà l’écho d’une certaine panique de populations qui espéraient une offensive éclair mais ne s’attendaient pas à des bombardements, une guerre et déjà l’exode.
Parrains régionaux
La guerre est par ailleurs attisée par les puissances régionales : Turquie, Russie, Iran voire Israël… Ne serait-ce qu’en pourvoyeuses d’armes voire de mercenaires. La Turquie aurait envoyé en Azerbaïdjan des centaines de mercenaires syriens et le régime d’Erdogan, dans son cours répressif forcené, pourrait trouver intérêt à cibler – en plus des Kurdes et de ses opposants de gauche –, la minorité arménienne qui vit en Turquie, en tout cas ré-agiter le spectre de « la question arménienne » et du génocide de 1915. Israël de son côté aurait vendu à l’Azerbaïdjan un arsenal d’armes sophistiquées. Et la Russie continue à jouer sur les deux tableaux : alliée de l’Arménie qu’elle fournit en armes et autres moyens de survie (non sans contreparties politiques), sur le territoire de laquelle elle maintient une base militaire, elle n’en ménage pas moins ses relations avec l’Azerbaïdjan qui demeure son « étranger proche », auquel elle vend également des armes, partage des intérêts en mer Caspienne, exploite un nombre non négligeable d’Azéris immigrés en Fédération de Russie.
Dans cette zone stratégique et riche en pétrole, les puissances régionales soufflent donc sur les braises pour défendre leurs intérêts. Et derrière elles, la France, l’Allemagne, les États-Unis font mine de vouloir apaiser le conflit, appellent au cessez-le-feu… mais ménagent surtout les relations complexes et intéressées qu’elles entretiennent avec les puissances régionales.
D’où ces conflits sanglants, improbables mais réels… entre peuples dont la force serait au contraire de se liguer contre ce grand jeu impérialiste, contre cet encastrement infernal – à la manière de poupées russes – d’intérêts locaux, régionaux, mondiaux… Un siècle tout juste après un événement de septembre 1920 qui avait marqué la région et le monde – le congrès des peuples d’Orient, à Bakou, convoqué par les Bolcheviks –, oui il faudrait renouer avec l’internationalisme prolétarien.