Publié le Jeudi 2 décembre 2010 à 12h33.

Le foyer de crise coréen

Les incidents militaires se sont succédé cette année entre les deux Corée : échanges de tirs le 27 janvier, perte d’une corvette sud-coréenne le 26 mars (46 morts), tirs nord-coréens le 29 octobre et, enfin, bombardements le 23 novembre. Alors que le Sud poursuivait des manœuvres navales sur une frontière contestée, l’artillerie du Nord a pilonné la petite île sud-coréenne d’Yongpyong, faisant plusieurs morts et de gros dégâts matériels. Six décennies après la guerre de Corée, la péninsule reste d’autant plus une « frontière chaude » que l’armistice de 1953, mettant fin aux combats, n’a pas été suivie d’un traité de paix et a laissé en suspens nombre de questions comme le tracé précis de la frontière maritime. Juridiquement, les deux Corée sont en état de guerre et les forces armées restent mobilisées de part et d’autre de la ligne de démarcation. Dans ces conditions, toute crise politique se traduit aisément par des incidents militaires. Or, aujourd’hui, tensions politiques il y a. Au Nord, Pyongyang fait face à une situation sociale désastreuse et organise une succession dynastique délicate : Kim Jong-un doit remplacer à la tête du parti-État son père Kim Jong-il, avec pour seul crédit d’être le petit-fils de Kim Il-sung, fondateur de la dynastie. Le nationalisme étant le principal ciment idéologique du régime, on comprend aisément en quoi une alerte frontalière peut être bienvenue. Au Sud, le gouvernement de droite a mis un terme à la politique d’ouverture à l’égard du Nord menée avant 2008 par son prédécesseur. Il réveille le militarisme et utilise la « menace » nordiste pour accentuer la répression contre les syndicats militants de la KCTU et le mouvement social radical en lutte contre le néolibéralisme (l’anticommunisme étant toujours un ciment idéologique essentiel au régime). Il rappelle de même aux grandes puissances qu’un accord sur la péninsule ne se négociera pas sans lui. Du point de vue de Séoul aussi, une tension frontalière n’est pas mal venue. À Washington, la présidence Obama souhaite montrer le drapeau dans la région pour signifier à Pékin que le renforcement des capacités militaires de la Chine ne laisse pas les États-Unis indifférents – ce qui peut expliquer pour une part que l’envoi d’un porte-avion US soit maintenu alors même que les forces navales sud-coréennes ont réalisé des tirs d’artillerie provocateurs dans les eaux frontalières contestées, avant que le Nord ne bombarde Yongpyong. À Pékin, on n’apprécie guère le régime de Pyongyang et ses faits accomplis répétés, mais le gouvernement chinois ne veut manifester aucune « faiblesse » dans le bras de fer diplomatique engagé avec Washington – un bras de fer qui concerne tout la zone maritime qui s’étend de la péninsule coréenne à l’Est jusqu’aux côtes vietnamiennes et indonésiennes à l’Ouest. Les peuples sont les grands absents de ce dangereux jeu d’échec (ou de go) dans la péninsule, nourri par des considérations de politique intérieure (au Nord comme au Sud), la permanence du conflit entre les deux régimes coréens et les intérêts de puissances. Pierre Rousset