Publié le Samedi 14 décembre 2024 à 08h00.

La crise sud-coréenne vue de France

L’imposition, le 3 décembre, de la loi martiale par le président Yoon Suk Yeol a été rapidement mise en échec. Une bonne nouvelle, mais pas seulement.

Les raisons qui ont poussé le président Yoon à initier un putsch fort mal préparé restent obscures (comme la décision par Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale dans une conjoncture fort peu propice).

Mobilisation contre les actes illégaux 

La mauvaise nouvelle est que l’armée (ou une fraction de l’état-major) a commencé par soutenir le président, alors même qu’il agissait dans l’illégalité (la Constitution exige l’accord des députéEs). Des forces spéciales dotées de moyens considérables (blindés, hélicoptères) devaient investir le Parlement et arrêter des dirigeants d’opposition. Le nombre de soldats impliqués dans l’opération était limité, ce qui explique que, confrontés à une situation imprévue, ils aient pu être débordés.

La bonne nouvelle est que cette tentative de putsch a été contrée en un temps record grâce à la résistance farouche des fonctionnaires et du personnel d’opposition sur place, ainsi qu’à une mobilisation citoyenne massive venue leur porter secours en pleine nuit, réunissant les générations, beaucoup de jeunes, activistes ou syndicalistes. Cela a permis à 190 éluEs de pénétrer dans le Parlement et d’abroger la loi martiale, avec le soutien d’un petit nombre de membres du parti gouvernemental.

Les ressorts de cette mobilisation montrent la vivacité de la démocratie sud-coréenne où le souvenir des temps de la dictature ne s’est pas dissipé. L’intervention de l’armée montre que sa stabilité n’est pas aussi assurée autant qu’il pouvait le paraître (la loi martiale n’avait pas été imposée depuis 1979). Les mobilisations se poursuivent aujourd’hui, pour la démission ou la destitution du président Yoon. Le premier intéressé s’y refuse, mais elles peuvent durer des jours, des semaines, voire des mois, comme ce fut le cas par le passé.

Crise économique, baisse du budget et corruption du pouvoir

Pourquoi cette crise intervient-elle aujourd’hui ? La Corée du Sud a longtemps connu un développement rapide, grâce à une politique interventionniste de l’État, favorisant la formation de conglomérats, que le Japon et les États-Unis ont à la fois tolérés et intégrés pour des raisons en particulier de géopolitique : la division de la péninsule coréenne, la proximité de la Chine et de la Russie. Elle exporte aujourd’hui massivement de l’électronique, s’impose comme le deuxième producteur de semi-conducteurs (en particulier les circuits imprimés de stock­age de mémoire). Cependant, après la crise du Covid et dans un marché mondial moins porteur, la croissance s’essouffle. La situation économique de la population se dégrade, ainsi que la qualité des services publics. Le couple présidentiel est crédité de nombreuses affaires de corruption. La crise politique a éclaté alors que le Parlement devait réduire le budget dont le président Yoon peut user à discrétion, au nom de la sécurité nationale.

Bref, la Corée du Sud fait face à une situation qui, par-delà ses spécificités, n’est pas étrangère à celle de nombreux pays occidentaux. Elle a quelque chose à nous dire, particulièrement en France où l’armée occupe une place majeure au cœur de notre régime, où la macronie (entre autres) manifeste bien peu de respect pour l’institution parlementaire ou le résultat des urnes. Il ne faut pas porter sur ce pays d’extrême orient un regard « exotique ». Ses turbulences valent avertissement.

Pierre Rousset