Avec un taux de participation officiel de 38,25 % (contre 43 % en 2012 et 35 % en 2007) lors des législatives du 4 mai, l’attitude des AlgérienEs qui tournent le dos aux enjeux électoraux se confirme et semble s’installer dans la durée.
Ceci dénote l’écart grandissant entre les dirigeants politiques au pouvoir et les représentants politiques des partis qui s’y opposent. Cette position s’explique par les fraudes répétées et récurrentes, des discours politiques ternes et sans perspectives, mais surtout sans de véritables alternances, ne serait ce qu’au niveau des forces sociales et politiques structurant le pouvoir.
En effet, aujourd’hui encore le FLN, « le parti de l’État algérien » selon les propos de son secrétaire général, arrive premier avec 164 sièges, dont 50 femmes, sur les 462 places de l’Assemblée populaire nationale. Même s’il a régressé de 57 sièges par rapport aux dernières élections et perd ainsi la majorité absolue, il reste celui qui occupe l’éternelle première place. Il est suivi de près par le deuxième parti présidentiel, le RND, avec 97 sièges, dont 32 femmes. Celui-ci gagne 27 sièges par rapport à 2012.
Les islamistes, fragmentés, ont réussi à se placer comme troisième force politique dans une alliance autour du MSP, d’obédience Frères musulmans, loin des deux premiers, avec 33 sièges, dont 6 femmes. Il faut noter que la présence de femmes est liée à la loi électorale, qui oblige les partis à présenter un pourcentage de femmes et à occuper, le cas échéant, la deuxième place sur chaque liste.
Parmi les perdants, surtout les démocrates, du FFS, du PT et du RCD, avec respectivement 14, 11 et 8 sièges chacun. Le premier perd 7 places, le deuxième cède 6, et le troisième n’avait pas d’élus dans la précédente assemblée.
Passage en force des partis au pouvoir et de l’oligarchie
Au-delà de ces forces politiques qui structurent le paysage politique algérien, une constellation de partis et d’indépendants totalisent une cinquantaine de députés, ce qui donne l’impression d’un équilibre et d’une représentation des diverses tendance de la société.
En réalité, nous assistons plutôt à une reconfiguration du rapport de forces en faveur du couple FLN-RND qui se réclame du programme présidentiel. Ils n’ont même pas besoin de forces d’appoint pour constituer leur domination sur le Parlement. Ce nouveau rapport de forces est aussi l’expression d’un passage en force d’une oligarchie de plus en plus présente dans l’espace social algérien. Si jusqu’à présent, celle-ci a acquis pignon sur rue au niveau médiatique, elle est aujourd’hui en quête d’une expression politique pour asseoir sa domination sur le pouvoir.
Le patronat algérien est en effet de plus en plus impliqué dans la vie politique du pays. Les élections législatives représentent une occasion pour ces hommes d’affaires d’asseoir un peu plus leur influence au plus haut niveau. Parmi les têtes de liste du Parti FLN à Tizi Ouzou, on retrouve le frère aîné du patron du Forum des chefs d’entreprise. On trouve aussi le patron du groupe Semoulerie industrielle de la Mitidja à la tête de la liste du RND à Blida, comme le patron du groupe Condor (électronique et électroménager) à la tête de la liste du RND à Bordj Bou Arreridj, ville des hauts plateaux, ou encore la nièce du patron milliardaire du groupe Cevital Issad Rebrab en tête de la liste du parti islamiste (TAJ) à Tunis. Et la liste est longue, avec des patrons présents dans pratiquement toutes les listes des partis en course pour ces législatives.
Dans l’immédiat, il y a derrière ce nouveau rapport de forces un autre enjeu : la préparation de la présidentielle de 2019, sachant que cette présidence pourrait vite devenir vacante vu la maladie de Bouteflika. Le FLN et le RND s’assurent ainsi d’être les seuls à définir les règles du jeu de cette importante échéance.
L’abstention, entre protestation et résignation
Cette offensive des partis du pouvoir et de l’oligarchie est facilitée, il faut le noter, par la grande abstention. Le sens que prend cette large abstention oscille entre une attitude de protestation passive et une résignation. Il y a dans cette sorte d’atonie l’effet de la situation internationale, une sorte de contre-modèle syrien ou libyen, avec une peur du chaos qui pourrait s’installer.
Pourtant, et en parallèle, il y a de nombreuses grèves et mouvements de contestation, mais sans traduction politique. C’est ce mouvement qu’a tenté de prolonger la liste du Parti socialiste des travailleurs (PST), par une expression politique sur un programme démocratique, antilibéral et anti-impérialiste, conscient qu’un changement politique ne se fait pas par une « élection à froid », et convaincu qu’une victoire électorale ne peut être que le produit d’une montée en puissance des mobilisations sociales.
Mais, contraints par la nouvelle loi qui obligent les partis n’ayant pas obtenu plus de 4 % lors des élections précédentes à rassembler un certain nombre de signatures dans les 48 wilayas (départements) du pays, dépassés par les exigences financières et contraintes administratives qu’exige ce genre de travail, les militantEs du PST ont mené campagne et marqué leur présence dans la wilaya de Béjaïa. Ils se sont adressés à celles et ceux qui luttent et continuent à se battre, même s’ils savaient qu’ils nageaient à contre-courant d’une vague abstentionniste, y compris parmi les plus proches.
D’Alger, Nadir U Haddad