Publié le Mardi 1 novembre 2011 à 16h35.

Libye: les complicités passées de la France

C’est le type d’informations qui, décidément, tombe vraiment mal. A la fin de l’été 2011, Nicolas Sarkozy se croyait autorisé à triompher: au moins en Libye, sa politique semblait pouvoir trouver (temporairement) un accueil populaire positif. La France, à côté de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis – quoique l’administration US ait eu des positions plus hésitantes – avait aidé militairement les rebelles libyens.

A partir du 20 août - avec le début de la «bataille de Tripoli» - le combat entre les rebelles armés et le Conseil national de transition (CNT) d’un côté et le régime de Kadhafi, de l’autre, entra dans sa phase décisive. Même si la guerre civile en Libye n’est pas totalement terminée au moment où nous mettons sous presse, les derniers jours d’août et les premiers jours de septembre 2011 virent un renversement du rapport de forces entre les deux camps. Le 15 septembre, le président français Sarkozy et le Premier ministre britannique David Sarkozy purent se payer un bain de foule à Benghazi.

Or, justement en cette période-là, des nouveaux détails sur la complicité tout récente du pouvoir français en général – et du clan Sarkozy en particulier – avec la dictature libyenne ont été révélés.

Déjà en février et mars 2011, le sujet avait été abordé. Quand l’opinion publique en Afrique du Nord (et au-delà) évoquait très largement la complicité de la France officielle avec les dictatures en Tunisie et en Egypte qui venaient de tomber, on craignait à Paris que le même débat ne soit déclenché aussi pour la Libye. La ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait été remerciée fin février 11 pour amitié avérée trop étroite avec des mafieux proches de l’ancien pouvoir tunisien (Aziz Miled p.ex.). Or, son compagnon, le toujours ministre des relations avec le parlement Patrick Ollier, était un lobbyiste en chef du régime libyen à Paris. N’oublions pas d’ailleurs, d’ailleurs, qu’Aziz Miled – l’ami tunisien de Madame – était soupçonné d’avoir transporté des mercenaires de Kadhafi avec la compagnie aérienne lui appartenant. Bref, la crainte de voir la France associée à toutes les dictatures d’Afrique du Nord, au moment où ma région était en plein bouleversement, était forte. Elle constituait un puissant motif pour Nicolas Sarkozy de décider l’intervention militaire en Libye. Il fallait court-circuiter l’élan populaire, remettre les grandes puissances au premier plan – et détacher l’image de la France officielle de celle des dictatures (anciennement) en place.

Le calcul était presque parfait. Sauf que, au moment des combats dans Tripoli, les représentants des appareils (militaire et/ou de renseignement) français sur place n’eurent pas le temps de nettoyer les ruines entre les belligérants. C’est ainsi que, dans celles de l’ancienne centrale des services secrets libyens, des journalistes étrangers pouvaient faire des découvertes étonnantes.

Le «Wall StreetJournal» du 29 août 2011, en premier – suivi par «Le Figaro» du 1er septembre, puis «Le Canard enchaînédu 07 septembre – l’ont ainsi révélé: les services français ont aidé ceux de la dictature libyenne à surveiller l’ensemble du pays. Des représentants de la DGSE française étaient sur place, dans le Centre de commandement des services libyens, à Tripoli, d’août 2008 jusqu’à février 2011 inclus. Ils aidaient leurs collègues libyens à surveiller Internet et communications téléphoniques.

Ce n’est pas tout: une entreprise française, Amesys, filiale du groupe Bull, a livré entre 2007 et 2009 la technologie permettant de surveiller les communications électroniques (e-Mail et consultations d’Internet) de toute la population libyenne. Le site OWNI l’avait révélé dès le mois de juin 2011, puis ça a été confirmé de toutes parts. Il s’agissait de filtrer les communications de chacun/e et de signaler, p.ex., si certains mots-clés étaient utilisés. «J’ai aidé à surveiller huit millions de personnes en Libye» a ainsi déclaré un cadre du groupe française dans la presse parisienne (pages «Technologie» du journal «Le Monde»). La CFDT chez Bull a confirmé les informations, revendiquant une «clause de conscience» qui permettrait à des salariés de se retirer de l’exécution de certaines commandes.

Rappelons, par ailleurs, que le journal en ligne «Médiapart» a commencé, à partir du 10 juillet 2011, une série de révélations précisant le rôle joué par le clan Sarkozy à partir de 2005 dans la coopération avec la dictature libyenne. Comme pour le Pakistan (où l’« Affaire Karachi», déclenché par l’attentat du 08 mai 2002, a déclenché une série de révélations) et l’Arabie Saoudite, il s’agissait là encore de financer illégalement des politiques français par le biais de commissions et «rétrocommissions» - revenant en France – prélevées sur des gros contrats d’armement. Dans les années 1990, cette méthode de financement illicite avait utilisée par le clan autour d’Edouard Balladur, plus tard visiblement par les sarkozystes.

Les enquêtes de «Médiapart» ont démontré le rôle central de l’« intermédiaire» Ziad Takieddine. Aujourd’hui, ce trafiquant d’armes, sorti de l’ombre qu’il affectionnait tant, est sur la sellette. Ses grosses voitures, ses villas et son yacht ont été mis sous scellés. Le 05 mars 2011, il avait d’ailleurs été arrêté au Bourget, quand il revenait de Tripoli avec 1,5 millions d’euros en liquide sur lui.

Les complicités d’hier avec le régime de Kadhafi sont aujourd’hui dépassées par l’évolution politique en Libye. Les responsables français et les structures qui les ont rendu possibles sont toujours en place. C’est là que s’imposerait un fort «nettoyage».

Bertold du Ryon