Au moins, l’ancien envoyé spécial des Nations unies Bernardino Léon aura réussi à fédérer tout le monde… contre son projet. Outre le Parlement de Tripoli et celui de Tobrouk – fait plutôt exceptionnel – les Touaregs et les Toubous qui s’affrontent dans l’Oubari se sont fendus d’une déclaration commune contre les propositions faites...
La Libye n’a pas réellement de chance au niveau diplomatique. Victime d’un Sarkozy soutenant Kadhafi qui devient fan du belliciste Bernard-Henri Lévy, elle fut aux mains de Bernardino Léon qui, réputé pour être fin connaisseur du monde arabe, n’en est pas moins un affairiste qui a accepté un poste de consultant à 48 000 euros par mois offert par les Émirats arabe unis, fervents partisans du Parlement de Tobrouk. Cela évidemment jette un doute sur l’impartialité de sa mission.
Un pays fragmenté
La Libye souffre d’une politique de division tribale que Kadhafi a menée depuis des décennies. L’intervention militaire des forces françaises et anglaises en 2011 a empêché les combattants d’entamer un processus d’unification dans la lutte, d’autant que les puissances régionales, en soutenant les différents protagonistes, n’ont fait qu’accentuer la fragmentation du pays.La Libye est composée de trois régions principales – la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan – dans lesquelles les tribus jouent un rôle politique important. À cela s’ajoutent les divisions religieuses et la prolifération d’une multitude de groupes armés bien décidés à préserver leur territoire et les profits qu’ils peuvent en tirer, que cela soit des dépôts d’armes, des ports, des installations pétrolières, ou des réseaux de contrebande.
État des lieux
La capitale Tripoli est le siège du Congrès général national (CGN) soutenu par le Qatar et la Turquie. Fajr Libya, regroupement hétéroclite issu de la milice de Misrata, en est sa colonne vertébrale. Le CGN est caractérisé comme islamiste. À l’autre extrême, au moins au niveau géographique, se trouve la Chambre des représentants (CDR), dit le Parlement de Tobrouk, appuyé par l’Arabie saoudite, Dubaï et l’Égypte, et reconnu par la communauté internationale avec un personnages clé, le général Haftar, ancien conseiller de Kadhafi tombé en disgrâce et qui a longtemps travaillé pour la CIA...Daesh s’est peu à peu implanté sur le sol libyen à partir de 2014. Son fief se trouve dans la région de Derna. L’État islamique aurait réussi à reprendre la ville de Syrte, perdue en août 2014.
Un risque de déstabilisation
L’intensification des bombardements sur la Syrie et l’Irak pousse Daesh à ouvrir un troisième front en Libye, entraînant une inquiétude grandissante pour des pays comme le Niger ou le Tchad qui risquent d’être pris en tenaille entre les deux groupes de l’État islamique, celui de la Libye et Boko Haram au Nigeria.Après le dernier attentat, la Tunisie tente de contrôler sa frontière en creusant des tranchées. Quant à l’Algérie qui partage plus d’un millier de kilomètres de frontières communes, elle déploie une diplomatie intensive. Alger craint une intervention militaire demandée de plus en plus fortement par Le Drian qui relaie ainsi le lobby de l’état-major militaire français, ce qui risque de transformer la région en poudrière.Les Libyens ont la possibilité d’éradiquer Daesh de leur pays, les populations de la ville de Syrte l’ont déjà prouvé, et une intervention militaire occidentale n’aurait qu’un effet contre-productif. En revanche, le processus d’unification nécessaire des forces libyennes exigerait que les forces régionales et occidentales cessent leur confrontation géopolitique sur le sol libyen, ce qui est loin d’être gagné.
Paul Martial