S’il existe une constante dans la politique des gouvernements français, c’est la question coloniale. Le principe est clair : pas un seul territoire administré par la France ne doit s’émanciper.
Six mois après les événements qui ont déstabilisé le sommet de l’État à la veille de l’élection présidentielle, la visite de Macron en Guyane se devait d’être millimétrée.
Les accords de Guyane piétinés
Dès son arrivée sur le sol guyanais, Macron, dans son style provocateur assumé, a confirmé qu’il ne respecterait pas les accords de Guyane en déclarant ne pas être « le Père Noël » ! Sur les trois volets des accords, seul le premier, qui regroupe l’aide d’urgence d’un milliard décidé par le précédent gouvernement, sera respecté. Cette stratégie de réduire les accords de Guyane a minima va dans le sens du principe colonial du sous-développement endogène, permettant à l’État français d’être indispensable au fonctionnement de sa colonie.
Concernant les volets devant permettre plus d’autonomie à la Guyane, là encore Macron les a atomisés. Les mesures de rétrocession du foncier qui ouvraient la perspective d’un possible « préalable foncier » sont transformées en « mise à disposition par l’État ». De plus, pour contrer les états généraux, organisés par le congrès des élus de Guyane, Macron a entraîné les élus guyanais dans les assises de l’Outre-mer, qui devraient déboucher sur quelques miettes dans 10 à 20 ans… Enfin, Macron n’a cessé de répéter que les lois françaises pouvaient être adaptées à la réalité guyanaise, cassant ainsi le principal argument des militants autonomistes.
Stratégie de la division
Durant sa visite, Macron s’est également employé à détruire toutes les cohésions qui avaient permis les journées historiques du 28 mars et du 4 avril, pendant lesquelles un quart de la population adulte avait défilé main dans la main pour une Guyane qui fasse sa place à chacunE.
Pour cela, il n’a pas hésité à reprendre les propos de Marine Le Pen considérant que le problème des infrastructures guyanaises était davantage lié à l’immigration qu’à des insuffisances de l’État. De plus, il a nommément pointé du doigt les communautés du Surinam, du Brésil et d’Haïti, les accusant de venir détourner les allocations familiales et les allocations spécifiques au droit d’asile. Enfin, il n’a pas hésité à faire le lien entre l’immigration et le niveau de violence que connaît la Guyane, reprenant ainsi l’intégralité des thèses frontistes.
Mais le jeu vicieux de l’État ne s’est pas arrêté là. Le séjour de Macron a été l’occasion de décrédibiliser le Kolectif Pou Lagwiyann Dékolè, signataire des accords de Guyane. Macron a refusé de le rencontrer, l’a mis en opposition avec les élus guyanais, jugés seuls légitimes pour discuter de l’avenir de la Guyane, et a cherché par une stratégie de communication bien huilée à le mettre en opposition aux quartiers populaires.
Reconstruire un front unitaire
Cette stratégie d’État serait incomplète si elle ne préparait le dernier acte qui devrait se jouer dans les prochains mois, celui de la répression. Le nouveau préfet nommé en août, issu des rangs des services secrets et spécialiste en guérilla urbaine, en donne un avant-goût. L’heure est encore à la collecte de données, comme l’ont révélé, le 27 octobre, les forces de répression qui ont filmé pendant des heures les manifestantEs depuis le balcon de la préfecture, mais il est certain que prochainement des procès en série s’abattront sur les différents leaders du mouvement guyanais, comme cela fut le cas après le mouvement de 1996.
Face à la contre-offensive, l’heure est à la reconstruction d’un front le plus large possible impliquant syndicats, collectifs, partis politiques et société civile, pour défendre les accords de Guyane dans leur ensemble, se projeter vers une évolution statutaire et recréer du lien social dans une communauté de destin guyanaise ouverte et plurielle. Des initiatives récentes pourraient aller dans ce sens. Aux militants anticolonialistes de peser de tout leur poids pour construire ce nouveau rapport de forces.
Adrien Guilleau