Publié le Mardi 28 mai 2024 à 12h00.

Évolution statutaire de la Guyane : une étape décisive franchie

Le samedi 13 avril, le Congrès des élus, réuni pour la quatrième fois en moins de deux ans, a adopté à une courte majorité l’ultime résolution du projet d’évolution statutaire, relative à la représentativité des autochtones dans les futures institutions du territoire. 

Cette adoption, qui tant sur le fond que sur la forme revêt une importance historique, s’est faite dans la douleur après la visite destructrice de Macron fin mars. 

 

Une visite présidentielle pour casser l’unité politique

Difficile de savoir à l’avance ce qui motivait la visite éclair du Président français en Guyane les 25 et 26 mars. Macron ne s’était rendu sur le territoire guyanais qu’une seule fois, six mois après son élection, pour venir renier les engagements de l’État sur les Accords de Guyane en précisant qu’il n’était pas le Père Noël, avec tout le mépris qui le caractérise. 

Fin février 2024, après l’annonce de Darmanin faisant état d’un accord trouvé pour l’évolution statutaire de la Corse, le Président de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), Gabriel Serville, avait dénoncé le deux-poids, deux-mesures de l’État qui d’un côté bloque le processus d’évolution statutaire engagé depuis 2017 et de l’autre accède à la demande des Corses. Serville avait alors menacé de ne pas assister à la visite présidentielle, si le président ne débloquait pas l’évolution statutaire réclamée à l’unanimité par les élu·es guyanais·es.

Profitant de cette brèche, les deux députés guyanais (Jean-Victor Castor et Davy Rimane) ont exigé que le président français vienne répondre aux questions relatives à l’évolution statutaire devant le Congrès des élus guyanais et non lors d’un repas informel, comme cela avait été annoncé. La tergiversation de Serville et d’autre élus pour rester sur la position des députés rendait possible l’émergence d’une importante crise politique avec l’État français.

Malheureusement, le constat fut tout autre. Serville s’est précipité en courbette devant Macron l’accueillant dès la descente de son avion. Seuls les deux députés ont refusé de participer à la mascarade présidentielle. Pire, les élu·es ont acquiescé aux demandes de Macron, formulées pendant le repas informel du 25 mars, de renier le consensus sur l’évolution statutaire et de formuler des propositions dans le cadre de l’article 73 de la Constitution dont dépend actuellement la Guyane. Un reniement majeur qui aurait pu mettre fin à la parenthèse décoloniale ouverte en 2017. Pour finir, Macron est parti se pavaner à Belém en compagnie de Lula et du chef autochtone Roani, accompagné entre autres de Serville et du président de l’association des maires de Guyane, Michel-Ange Jérémie qui semblait jusque-là plutôt proche des positions du MDES.

Cette visite éclair aura donc eu l’effet d’un cyclone brisant l’unité du champ politique guyanais si difficilement acquis depuis 2017.

 

Un quatrième congrès des élus pour achever le projet d’évolution statutaire

Depuis 2020, le Congrès des élus de Guyane a acté à l’unanimité une demande d’évolution statutaire vers un statut sui generis à l’image de la Kanaky. Depuis 2022, le congrès réunissant tou·tes les maires, les conseiller·es territoriaux et les parlementaires s’est réuni à trois reprises pour finaliser le projet d’évolution statutaire qui devrait être soumis à la population. Un dernier point épineux restait à régler, celui de la représentativité des autochtones au sein des futures institutions. C’était l’objet de ce quatrième congrès programmé pour le 13 avril 2024.

À la suite de la visite présidentielle, le président de l’Association des maires a tenté en vain de dynamiter ce congrès, rappelant les engagements pris auprès de Macron qui devaient selon lui rendre inutile la poursuite du travail sur l’évolution statutaire ! De leur côté, les députés ont habilement appelé les élu·es à une réunion de travail en amont du congrès afin de recoller les morceaux et d’obtenir une majorité au congrès. 

C’est dans ce contexte que s’est ouvert ce quatrième congrès, avec des élu·es guyanais·es plus divisé·es que jamais, et cela pour traiter le sujet non consensuel de la représentativité autochtone.

 

Une institution représentative des autochtones décisionnaire et autonome

C’est devant les représentant·es coutumier·es des six « nations » autochtones que Christophe Pierre, leader des Jeunesses autochtones, a présenté le projet issus d’un consensus des communautés amérindiennes marquant « une forme de réparation liée aux violences historiques ». Le projet d’une Assemblée des Hautes autorités amérindiennes de Guyane, comme instance indépendante ayant la possibilité d’émettre des avis conformes sur les Lois péyi a fait l’objet de longs débats et d’attaques en tout genre de la part de l’opposition. Après cinq heures de tensions, d’invectives, mais également de prises de position courageuses, notamment du député Jean-Victor Castor, le projet a été adopté à une courte majorité de 30 voix pour, 27 contre et 5 abstentions. 

Ce vote a été accueilli sous les applaudissements des représentants autochtones. Pour Christophe Pierre, « aujourd’hui c’est une journée historique, les masques sont tombés. On a vu qui ne voulait pas reconnaître notre existence, ne voulait pas reconnaître nos terres, ne voulait pas nous donner la voix que l’on mérite d’avoir. Mais on a vu aussi qui nous a soutenus ». 

L’adoption de cette résolution est importante dans le processus d’évolution statutaire. D’une part, il permet enfin aux communautés autochtones de se reconnaître dans ce processus et d’y adhérer. C’est un changement radical d’orientation, alors que l’État colonial cherchait absolument à opposer les différentes communautés guyanaises vis-à-vis de ce projet. D’autre part, cette adoption fait partie intégrante d’un processus de réconciliation entre les diverses populations guyanaises, condition essentielle pour permettre au peuple guyanais unis dans sa diversité, de cheminer vers l’autodétermination.

 

Macron mis en échec, mais son intervention laisse des traces

Dans les jours qui ont suivi l’adoption de cette résolution, nous avons pu constater de nombreuses réactions, souvent hostiles. 

Il y eu d’abord l’opposition de la CTG, menée par Rodolphe Alexandre qui a remis en cause le résultat du scrutin. Après un recompte des votes et des procurations présentées par Gabriel Serville lors d’une conférence de presse, le résultat définitif a été porté à 33 voix pour, 31 contre et 7 abstentions (deux procurations de l’opposition était des faux manifestes et le seul élu autochtone de l’opposition s’est prononcé favorablement sur la résolution, permettant son adoption).

Nous avons vu ensuite le président de l’Association des maires contester le scrutin et déplorer le traitement différencié des autochtones et des Noirs marrons (qui font actuellement parti du Grand Conseil coutumier et qui se retrouveront à la tête d’une instance consultative selon une résolution antérieure du Congrès des élus). Michel-Ange Jérémie est allé jusqu’à demander l’annulation du Congrès et la remise au vote de la résolution autochtone.

Nous avons également vu des réactions d’intellectuels comme Boris Lama remettant en cause la notion d’autochtonie, des représentants noirs marrons s’émouvant de ne pas avoir les mêmes prérogatives que les autochtones dans le projet d’évolution statutaire, ou encore de l’ancienne Garde des Sceaux, Christiane Taubira qui parle carrément de vote des élu·es en faveur de « l’abolition du suffrage universel » ! 

Pourtant, la résolution adoptée par le Congrès des élus est parfaitement compatible avec les préconisations de l’ONU en la matière. Rappelons tout d’abord que selon l’ONU « les peuples autochtones ont en commun une continuité historique avec un territoire donné avant la colonisation et entretiennent un lien fort avec leurs terres. Ils maintiennent, du moins en partie, des systèmes sociaux, économiques et politiques distincts. Ils ont des langues, des cultures, des croyances et des systèmes de connaissances distincts. Ils sont déterminés à maintenir et à développer leur identité et leurs institutions distinctes et ils constituent un secteur non dominant de la société ». Ainsi, contrairement à ce que soutient Boris Lama, en Guyane, seuls ceux nommés « amérindiens » peuvent se prévaloir de la dénomination d’autochtones. Rappelons ensuite que loin d’être aberrante, la résolution adoptée par le Congrès des élus ne fait que reprendre les préconisations de l’ONU dans la déclaration sur les droits des peuples autochtones qui préconise une « consultation » des peuples autochtones « par l’intermédiaire de leurs institutions représentatives » ayant pour but « l’obtention d’un consentement avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptible de les concerner ». Ainsi, l’ONU parle bien d’avis contraignant et non d’avis consultatif. Il n’y a donc aucune « abolition du suffrage universel » mais la simple application du droit international que refuse jusqu’à ce jour de mettre en place l’État français. Concernant les revendications des Noirs marrons qui partagent les mêmes critères que les autochtones, hormis ceux présents antérieurement à la colonisation européenne, une réflexion pourrait être menée après l’adoption de la résolution autochtone, afin que leur future institution représentative soit également dotée d’avis contraignants pour les projets les concernant directement.

La finalisation du projet d’évolution statutaire est une étape décisive dans le processus entamé en 2017. Ce projet va pouvoir être soumis au gouvernement français afin que celui-ci convoque les Guyanais à un référendum. La finalisation de ce projet marque également l’échec de la stratégie de Macron qui voulait bloquer le processus de l’intérieur. Cependant, il est évident que l’État a en réserve encore de nombreux subterfuges afin d’éviter que la consultation populaire soit organisée, ou pour éviter que la Guyane prenne son autonomie. Le risque de dislocation des diverses composantes du peuple guyanais reste une réalité. La facilité avec laquelle Macron a réussi à entraîner les élu·es vers un reniement de leur position est particulièrement inquiétante. Les masques sont tombés durant cette séquence politique et les élections municipales de 2026 auront un enjeu stratégique particulier.

 

La Guyane au bord de l’explosion

Il est impossible de savoir comment les choses vont évoluer, la Guyane étant au bord de l’explosion depuis plusieurs mois. L’émergence d’un mouvement comme celui de 2017 pourrait bien contraindre l’État à accéder rapidement aux demandes des élus et de la population. Le meurtre, sur le parking d’un supermarché, d’une pharmacienne de Saint-Laurent le 8 avril dernier a mis la capitale de l’ouest guyanais en ébullition. Plus de 1 000 personnes se sont mobilisées (ce qui est exceptionnel) puis ont forcé l’entrée de la sous-préfecture de Saint-Laurent avant de l’envahir en criant « justice ». D’autres marches sont prévues contre la violence qui gangrène la société guyanaise en proie au sous-développement économique et au crime organisé gravitant autour de la drogue et de l’orpaillage illégal. Il n’est pas à exclure qu’un nouveau sursaut de la Guyane se produise, alors que l’État souhaite l’apaisement avant le vol inaugural d’Ariane 6(véritable source d’intérêt de l’État français en Guyane) prévu fin juin.