Bien que Lobanov ne soit membre d’aucun parti, il a été nommé par le Parti Communiste de la Fédération de Russie (PCFR), ce qu’il a accepté pour plusieurs raisons. Premièrement, une auto-nomination l’aurait obligé à recueillir environ 15 000 signatures auprès des électeurEs de sa circonscription, ce qui se serait avéré pratiquement impossible pour plusieurs raisons bureaucratiques. Deuxièmement, l’élection par le biais du PCFR permettait à Mikhail de faire plus facilement appel aux gens qui plaçaient leurs espoirs dans ce parti, regroupant à la fois les personnes qui soutenaient les communistes pour leur programme socio-économique et celles qui ont voté pour le Parti Communiste parce qu’il représentait l’alternative la plus efficace à Russie unie.
« Vote intelligent »
En l’absence d’un parlementarisme progressiste en Russie, les électeurEs ont dû voter non pas pour le candidat le plus correct politiquement, mais pour celui qui pouvait défaire le candidat de Russie unie. Le maître-mot de cette méthode avait pour appellation « vote intelligent », stratégie inventée par le prisonnier politique Alexei Navalny et son équipe. Quelques jours avant les élections, le site Web et l’application Vote intelligent ont publié une liste de candidats appropriés, dont Mikhail Lobanov. Malgré le fait qu’Alexei Navalny soit un ancien populiste de droite, la plupart des candidats recommandés venaient du PC. C’est pourquoi une situation paradoxale s’est développée en Russie, où les gens se positionnant comme libéraux ont voté pour les communistes lors de ces élections.
En 2019, grâce au « vote intelligent » on a vu élire à la Douma de Moscou 25 députés Russie unie pour 20 députés de l’opposition. En conséquence, anticipant la montée électorale de l’opposition, les autorités ont eu recours à des falsifications par le biais du système de vote électronique.
Les membres de Russie unie, s’accrochant au pouvoir, ont tout fait pour conserver la majorité des voix au Parlement. Plus de 5.000 fraudes ont été enregistrées ; je vais décrire en détail un seul exemple de la politique éhontée des autorités.
Boris Vishnevsky, Boris Vishnevsky et… Boris Vishnevsky
À Saint-Pétersbourg, un candidat à l’Assemblée législative de la ville était Boris Vishnevsky, membre du parti libéral Yabloko. Deux autres candidats se sont inscrits dans la même circonscription. Leurs noms étaient… Boris Vishnevsky et… Boris Vishnevsky. Il s’agissait en fait de deux candidats pro-Kremlin, Aleksey Shmelev et Viktor Bykov, qui ont changé de nom et d’apparence peu avant les élections. Il était presque impossible de distinguer le candidat de l’opposition de ses « sosies ». Après les élections, le 22 septembre, lorsque le vrai Boris Vishnevsky est allé se plaindre de nombreuses violations, il s’est fait passer à tabac, juste à côté de l’administration du district de la ville, et parmi les assaillants se trouvaient d’autres candidats.
Pendant le vote, il y eut des attaques contre des observateurEs, des stylos à encre effaçable distribués aux votantEs et, dans certains bureaux de vote, des caméras de surveillance se retrouvant « soudainement » éteintes. Dans la ville de Cheboksary, le président de la commission est allé jusqu’à manger la liste électorale pour couvrir sa violation.
Russie unie perd des sièges à la Douma...
Eh bien, même dans ces conditions, Russie unie a perdu 19 sièges au Parlement, et le Parti Communiste a remporté 15 sièges de plus que lors des élections précédentes. On peut aussi remarquer de petits changements dans l’inclination des gens, qui se déplace lentement vers la gauche. Ainsi, le Parti Libéral Démocrate de Russie – populiste d’extrême droite – a perdu 18 sièges à la Douma d’État, et Une Russie juste — pour la vérité, de centre-gauche, a gagné 4 mandats supplémentaires.
Il est certain que les gens peuvent se tourner non seulement vers la gauche comme autre option, mais aussi vers les idées libérales. En même temps, ils et elles voient bien que les vieux partis libéraux ne les aident pas à résoudre les problèmes sociaux, et cherchent de nouvelles formations pour exprimer leurs opinions. Ainsi il faut noter que, pour la première fois depuis 2007, non pas quatre mais cinq partis sont représentés à la Douma d’État, l’organisation en plus étant Nouveau peuple. Ce parti, pourtant accusé d’avoir un lien évident avec le Kremlin, ne doit peut-être pas tant son succès à son affiliation avec les autorités qu’à un travail important de conviction dans la rue. À l’inverse, l’ancien parti libéral Yabloko n’a obtenu que 1,34 % des voix en raison du fait que son chef Grigory Yavlinsky a exhorté les partisans du « vote intelligent » à ne pas voter pour lui.
... et perd certaines régions
Pour la première fois depuis 2003, Russie unie n’a pas gagné toutes les régions de la Russie. Dans les régions de Khabarovsk, Sakha-Yakutia, Mari El et la région autonome de Nenets, plus de gens ont voté pour le PC que pour le parti de Poutine. La plupart de ces régions ont vu à la fois le mécontentement des populations et l’apparition de dirigeants brillants qui sont devenus des pôles d’attraction pour les insatisfaitEs. Cela signifie qu’il y a une perspective de croissance de la protestation organisée, non seulement dans des grandes villes comme Moscou et de Saint-Pétersbourg, mais aussi à la « périphérie ».
Afin d’obtenir la victoire de Mikhail Lobanov et d’éviter de nombreuses violations, des observateurEs du candidat étaient présentEs dans la plupart des bureaux de vote. Cela a permis à Lobanov de compter 10 851 voix de plus !
Mais, malheureusement, aucunE des militantEs de la base n’a pu influencer le vote électronique, qui a été organisé dans 6 régions de la Russie. Si vous vivez, par exemple, à Moscou et que vous avez le droit de vote, alors vous pouvez choisir comment voter – traditionnellement ou électroniquement. De nombreuses personnes travaillant dans des entreprises étatiques et municipales se sont plaintes que leurs directeurs les avaient forcées, sous la menace de licenciement, à rédiger une déclaration de leur « désir » de voter par voie électronique. Il semble que personne n’ait été obligé de voter pour des candidatEs précisEs, mais il n’y a pas de manière indépendante de vérifier les résultats du vote électronique. Les autorités nous annoncent simplement le résultat.
Le 19 septembre, des candidatEs de l’opposition – dont Mikhaïl Lobanov – ont été éluEs dans 9 des 15 districts de Moscou par les résultats du scrutin traditionnel. Cependant, le 20 septembre, les autorités ont annoncé les résultats du vote électronique. Il s’est « avéré » que les élections à Moscou ont été remportées exclusivement par les candidats du pouvoir en place ! Mikhail Lobanov et 8 autres candidatEs de l’opposition ont « perdu », mais ilLEs ont « perdu » parce que les autorités ont semble-t-il truqué les résultats du vote électronique.
Ce même 20 septembre, au centre de Moscou, le Parti Communiste a organisé un rassemblement auquel ont participé plusieurs centaines de personnes (ce qui est beaucoup, étant donné que l’événement a été annoncé quelques heures à l’avance, que c’était une journée de travail et qu’il pleuvait). Lors de ce rassemblement, le PCFR a annoncé qu’il ne reconnaissait pas les résultats du vote électronique et qu’il se battait pour les candidatEs qui ont honnêtement remporté les élections législatives.
Lorsque Mikhaïl Lobanov a pris la parole, la foule a scandé son nom. Puis notre candidat a fait cette annonce : « Au cours de ces mois, nous avons prouvé que nous étions capables de beaucoup de choses. Un mouvement a surgi qui a détruit les attentes des autorités russes. Nous avons vu des gens voter contre l’inégalité flagrante qui déchire notre pays. Ils ont voté contre l’inégalité, dans laquelle une poignée pitoyable de riches ont tout. »
Lobanov n’a pas oublié de mentionner la nécessité de construire un mouvement populaire : « La vraie politique ne se limite pas aux élections. La vraie politique, c’est une lutte dans nos universités, dans nos quartiers, dans nos districts. C’est une lutte dans nos entreprises pour nos intérêts communs. Et nous allons continuer cette lutte. Nous sommes devenus plus forts et, par conséquent, nous sommes en mesure d’en faire plus. »
De nombreux rassemblement prévus
Comme touTEs les participantEs au rassemblement n’ont pas soutenu les communistes de tout leur cœur, Mikhail a annoncé depuis la scène : « Je crois qu’il est de mon devoir en tant que candidat, pour lequel des personnes ayant des opinions et des positions différentes ont voté, de défendre ce qui nous unit. Le premier est la lutte contre les inégalités politiques et économiques. Le second est la lutte contre les répressions politiques et autres. J’exhorte tous les candidats à s’unir et à formuler des revendications communes. »
Des rassemblements ont dores et déjà été annoncés sur les réseaux sociaux pour les 23 et 25 septembre, afin de demander l’abolition du vote électronique. Effrayées par une possible augmentation du mécontentement populaire, les autorités ont déjà annoncé qu’elles allaient vérifier les résultats du vote électronique (mais en ayant averti que cette révision n’aurait pas force de loi).
Il ne faut garder en tête que le vote électronique n’est qu’un des nombreux moyens de truquer les élections. Les analystes indépendantEs estiment que les autorités auraient pu simuler plus de 13 millions de votes, soit 30% du nombre total d’électeurEs. La Commission électorale centrale annoncera les résultats définitifs des élections le 24 septembre. En réalité, les conclusions réelles des événements dépendront de la capacité des candidatEs de l’opposition, des militantEs de la base et des Russes ordinaires à descendre dans la rue et à exiger que les vrais résultats des élections – et non les faux – soient reconnus.
Traduit par l'Anticapitaliste. Les intertitres sont de la rédaction.