Publié le Mardi 27 octobre 2009 à 11h50.

Marre du business humanitaire !

 

Le continent africain est un chantier privilégié où associations diverses et autres ONG locales, nationales et internationales, bonne volonté en bandoulière et tiers-mondisme parfois naïf au cœur, s’en vont «aider» l’Afrique et les Africain-e-s à «se développer».

Dans les aéroports, dans les villages, on ne compte plus les scouts en uniforme, les jeunes qui arborent leurs T-shirts marqués du sigle de leur projet ou de leur association. Ils/elles partent en mission… et s’en reviennent transfiguré-e- s, cheveux nattés, habillé-e-s selon les normes locales, la tête et les sacs emplis de souvenirs, certain-e-s de la grandeur désintéressée de leur belle aventure humaine, jalonnée de rencontres merveilleuses et de découvertes… Je reviens d’une mission au Burkina Faso, où j’ai accompagné deux jeunes d’une association qui soutient un projet de «tourisme solidaire» dans l’Est du pays, mené depuis quatre années par une association locale. Ce projet est un échec, et la mission de bilan qui devait permettre l’analyse des causes des difficultés s’est transformée en une mission de rupture du partenariat. Cette situation est parfaitement classique: d’un côté, nous avons des jeunes Français-e-s qui veulent s’engager pour une cause, qui n’ont aucune connaissance liée aux problématiques du tourisme et du développement, et qui s’associent avec des partenaires au Sud pour mener à bien un projet, en multipliant les initiatives pour trouver de l’argent et les démarches pour obtenir des subventions publiques; et de l’autre une association – ici burkinabé – avec un «Bureau» qui répond à tous les appels d’offre des bailleurs de fonds et qui cherche des relais au Nord, mais qui ne mène aucune activité sur le terrain…Derrière l’échec du projet de «tourisme solidaire», c’est la logique même du développement par projet qui est posée et doit être questionnée. La globalisation libérale capitaliste entretient une division du travail qui marginalise sciemment les pays africains, dont les pays du Nord se partagent les ressources à vil prix, sans hésiter à intervenir dans les équilibres politiques de ces pays indépendants. Les politiques menées par les institutions internationales et les puissances politiques et économiques occidentales présentes sur le continent conduisent l’Afrique vers sa dépendance et la régression. De plus en plus, des ONG et des programmes de solidarité menés par d’autres structures de cette même mondialisation (Unesco, ONU, etc.) interviennent dans les pays du Sud pour développer programmes et projets plus ou moins ambitieux, plus ou moins onéreux. Professionnel-le-s de l’aide et bénévoles se croisent, mais tou-te-s fonctionnent selon le même schéma: on apporte des fonds, éventuellement de la main-d’œuvre pour réaliser des choses concrètes, et on «aide les Africain-e-s», mais naturellement sans toucher – au nom de la neutralité politique – aux mécanismes qui organisent le sous-développement. Et dans les pays du Sud, cette vision du développement par projets financés sur un nombre x d’années conduit à produire des stratégies de captation des capitaux par des structures fondées dans cet objectif, répondant aux appels d’offre en respectant à la lettre les mots-clefs que les bailleurs de fonds escomptent, et vivant de cette manne en passant d’un projet à un autre.

 

Si le développement est l’affaire de tou-te-s, le développement des pays en Afrique est avant tout l’affaire des peuples africains eux-mêmes, dans le cadre d’une lutte anti-impérialiste dans les pays du Nord pour que les puissances capitalistes cessent leurs politiques d’exploitation. Il peut être intéressant de mener des projets sur place, et de contribuer à l’amélioration de la vie des populations locales, même en-dehors de toute réflexion géopolitique globale. Mais on ne saurait faire n’importe quoi sous prétexte de bonne volonté. Penser le «développement» et sa définition imposée par le capitalisme globalisé, penser les mécanismes de prise de décision et d’intégration des populations locales à la conception-même des projets et à la répartition des bénéfices, penser la «solidarité internationale» et les valeurs contradictoires que ce concept recèle, et penser les multiples impacts environnementaux, sociaux et économiques d’un projet à l’échelle d’une société ne relève pas du supplément d’âme ni d’un problème marginal, mais d’une étape préalable et indispensable à toute rédaction d’un projet. En dernière analyse, c’est de toute façon aux populations locales et aux peuples de définir leurs besoins et leurs priorités et éventuellement de faire appel à des soutiens pour les épauler, et non pour décider de ce qui est «bon pour eux» à leur place, sous prétexte qu’ils détiennent les financements et maîtrisent cette «ingénierie» du développement enseignée dans les Ecoles supérieures du Capital.

En ce qui concerne les militant-e-s internationalistes, anticapitalistes et révolutionnaires, nos tâches demeurent les mêmes: jeter des passerelles entre les travailleur-euse-s et les peuples à partir de résistances concrètes et de luttes communes, et développer une analyse partagée du fonctionnement du capitalisme globalisé et de ses mécanismes de division, d’exploitation, et de mise en coupe politique, économique et militaire de la planète. Dans ce cadre, nous devons garder des distances nettes avec l’associatif humanitaire, sans toutefois tomber dans l’excès de sa condamnation systématique; la grande majorité des membres des associations et des ONG sont porté-e-s par un idéal que nous pouvons partager et la volonté de changer le monde «à leur niveau». Nous devons établir un dialogue et «rappeler «qu’agir localement» ne peut se conjuguer sans le volet «penser globalement» aux causes des inégalités.