Les grandes manifestations de rue des deux dernières semaines au Brésil ont pris de court tout le monde. Il y avait pourtant une reprise significative des mobilisations. L’année 2012 a enregistré le plus grand nombre de grèves depuis 1996, et cette tendance s’est poursuivie en 2013.Outre les luttes de nombreux secteurs pour des salaires plus élevés et des conditions de travail meilleures, des mobilisations ont été croissante pour des revendications plus larges : la lutte contre la réaction homophobe et raciste (avec une grande visibilité de la lutte contre la désignation du député Marco Feliciano à la présidence de la Commission des droits de l’homme de la chambre des députés) ; la lutte des peuples indigènes pour la préservation de leurs terres, contre la construction de l’usine de Belo Monte, et pour le droit à la vie (les assassinats d’indigènes par de grands propriétaires terriens sont fréquents) ; la lutte de secteurs populaires pour le droit à un logement (et contre les expulsions, transferts et « rénovations urbaines » qui créent des ségrégations dans l’espace urbain) en prévision de la Coupe du monde de 2014 et des jeux Olympiques de 2016 ; des luttes en défense de l'environnement...
Cristallisation des colèresCette reprise des mouvements était une réaction aux difficultés économiques - la stagnation qui tend à se poursuivre, la reprise (limitée, mais perceptible) de l’inflation - et au conservatisme économique du gouvernement : coupe dans les dépenses publiques et réduction des impôts sur le capital, privatisations (nommées « concessions » ou « partenariats avec le secteur privé ») d’aéroports, de ports, de chaussées routières, du pétrole, reprise de l’augmentation des taux d'intérêts, concessions successives aux pressions de l’agro-business. En somme, tout pour le capital !De plus, le mécontentement a été croissant dans certains secteurs de la population, notamment dans la jeunesse, face au conservatisme social et politique du gouvernement et la criminalisation des mouvements sociaux.C’est dans ce contexte que le mouvement contre les augmentations de tarifs des transports publics (qui, outre leur cherté, sont de mauvaise qualité), l’indignation contre la répression et celle contre les dépenses et la forme d’organisation de la Coupe des Confédérations, se sont cristallisés pour conduire à l’explosion des mobilisations.La tendance semble être aujourd’hui à la baisse des mobilisations, au moins pour les prochains jours. Mais elles ont déjà transformé le pays. Le Brésil a changé (comme la propagande gouvernementale du PT se plaisait à le dire, évidemment avec dans un sens bien différent...).Ceux qui gouvernent, du niveau fédéral jusqu’au municipal, sont sur la défensive. Ils ont été contraints de baisser les tarifs des transports publics et de reconnaître leur discrédit, surtout au sein de la jeunesse. Ils annoncent divers projets de changement, cherchant à faire de « bonnes choses » pour soigner leur image. Les sondages d’opinion révèlent une chute drastique du prestige du gouvernement fédéral (et ce devrait être pareil aux autres niveaux de gouvernance, même si c’est à un niveau moindre). Le peuple était mécontent, mais ils n’en avaient pas conscience. Maintenant, il ne se contentera plus de miettes et il sera beaucoup plus difficile de le tromper.
Construire une alternative socialisteIl y a maintenant un processus très riche de discussions politiques, de réunions de divers secteurs sociaux (jeunes, habitants des périphéries, mouvements pour le transport public, l’éducation, etc.), qui réunissent beaucoup plus de gens que par le passé, pour discuter de quoi faire et que revendiquer maintenant. Bien que les mobilisations tendent dans l’immédiat à se réduire, le peuple y a pris goût et a compris qu’elles peuvent mener à des victoires. C’est, à n’en pas douter, un changement dans le rapport de forces entre classes.Évidemment, reste encore à résoudre l’épineuse question de la reconstruction d’une gauche socialiste brésilienne, rendue nécessaire par l’adhésion du PT aux institutions du pouvoir bourgeois. Faute de quoi, il n’existera pas d’alternative à gauche à l’actuel pouvoir fédéral. Mais les nouvelles conditions sont les plus favorables qu’aient connues le pays depuis l’élection de Lula en 2002 pour progresser dans la construction de cette alternative.
De Sao Paulo, João Machado(traduction du portugais par Luiza Toscane)