Publié le Lundi 6 septembre 2021 à 07h15.

Myanmar : relance des affrontements armés et appel aux mouchards

Cette semaine, des combats intenses ont éclaté entre l’ethnie Kokang de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar (MNDAA) et la Tatmadaw dans le nord de l’Etat de Shan. L’économie a été mise à mal par de nouveaux retraits d’entreprises étrangères et de nouvelles campagnes de pression. La junte a aggravé les tensions en encourageant les informateurs à dénoncer les activités anti-militaires. Le régime a apparemment commencé à tenir sa promesse de vacciner les Rohingyas. (Réd. Frontier Fridays)

La MNDAA entre en scène

A la fin du mois de juillet, l’armée indépendantiste kachin a prédit qu’un autre membre de l’Alliance du Nord, l’armée de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar (MNDAA), s’engagerait bientôt dans des combats beaucoup plus sérieux avec la Tatmadaw (Forces armées du régime). Entre-temps, des affrontements ont été signalés de façon sporadique, mais il a fallu près d’un mois pour que cette prévision se réalise pleinement.

De violents combats ont été signalés pour la première fois samedi 28 août dans la ville frontalière de Mongkoe, dans le district de Muse, dans l’Etat de Shan, certains médias affirmant que la Tatmadaw a subi des pertes importantes. Comme d’habitude, les rapports sont quelque peu contradictoires. Nous pensons que la plupart des pertes de la Tatmadaw sont exagérées et sont le résultat d’une attitude qui prend ses désirs pour la réalité. La chaîne Kachinwaves affirme qu’au moins deux commandants et presque tous les membres de leur bataillon ont été tués. Par contre, un média de Kokang (dans l’Etat shan, frontalier de la Chine) affirme que cinq soldats de la Tatmadaw ont été tués et 20 autres blessés. Le porte-parole de la junte, le brigadier-général Zaw Min Tun, a confirmé que «certains soldats ont été tués», mais a démenti les informations selon lesquelles des commandants seraient morts. Jeudi, la MNDAA a affirmé avoir tué 28 soldats de la Tatmadaw et n’avoir subi que deux pertes cette semaine.

Les photos publiées par la MNDAA semblent indiquer qu’elle a remporté une victoire décisive samedi 28 août, montrant des armes, des munitions et des uniformes saisis pendant les combats, mais probablement pas assez pour indiquer qu’un bataillon entier a été éliminé. Des victimes civiles ont également été signalées, dimanche 29 août, lorsque quatre personnes, dont un enfant, ont été tuées après que l’armée a commencé à tirer des obus d’artillerie sur la zone.

Lundi 30 août, des habitants ont découvert 17 corps portant des uniformes de la Tatmadaw dans la même zone, selon le SHAN Herald. Le SHAN Herald n’a pas indiqué si toutes les victimes semblaient avoir été tuées au combat ou si certaines semblaient avoir été exécutées par la suite, mais un média de Kokang a signalé qu’au moins certaines d’entre elles avaient été tuées au combat. Les combats se sont poursuivis mercredi 1er septembre, et un porte-parole de la MNDAA a déclaré à Khit Thit Media que huit autres soldats de la Tatmadaw avaient été tués. Si l’on ajoute à cela le précédent rapport faisant état de cinq morts samedi, nous avons déjà dépassé les 28 morts. Toutefois, comme nous l’avons dit, les rapports sont contradictoires.

Certains rapports indiquent que des soldats de la Kachin Independence Army (Armée pour l’indépendance kachin-KIA) ont pu être impliqués dans les affrontements, mais ce n’est pas certain. Quoi qu’il en soit, il semble bien que cet affrontement soit essentiellement le fait de la MNDAA. Bien qu’il ne soit pas idéal pour la Tatmadaw d’avoir un nouvel ennemi à affronter, les combats se sont déroulés pendant une période d’accalmie apparente dans ses affrontements avec la KIA. Nous ne voyons encore aucun signe d’un assaut véritablement coordonné et simultané sur plusieurs fronts. Ce qui serait nécessaire pour déborder la Tatmadaw.

Départ et campagnes de pression sur la junte

Le grossiste allemand Metro a annoncé cette semaine qu’il allait «cesser ses activités» au Myanmar à la fin du mois prochain, deux ans et demi à peine après son lancement. Remerciant ses clients, ses employé·e·s et ses partenaires commerciaux, la société a déclaré que «les circonstances actuelles ne nous permettent plus de faire fonctionner la firme selon les normes élevées que nous nous sommes fixées». C’est un coup dur pour l’économie et cela aura des répercussions sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, non seulement pour les hôtels et les restaurants servis, mais aussi pour le secteur agricole qui lui livre ses produits. La Société financière internationale, organisation du Groupe de la Banque mondiale consacrée au secteur privé, a investi 20 millions de dollars dans la filiale de Metro au Myanmar en 2019, anticipant que l’entreprise «ferait grimper les revenus agricoles et contribuerait à réduire la pauvreté». Les investisseurs tels que Metro ont été attirés par la libéralisation économique du Myanmar. Sa décision de se retirer est un autre signe que des jours sombres sont de retour dans le pays.

Bestseller, une entreprise danoise de vêtements, a déclaré qu’elle cessait de passer de nouvelles commandes au Myanmar après que la Fédération des travailleurs industriels du Myanmar et IndustriALL Global Union ont demandé à toutes les marques de vêtement de «se désinvestir et de cesser leurs activités». «Le mouvement syndical du Myanmar affirme qu’il n’y a pas de manière éthique de faire des affaires dans ce pays», a déclaré IndustriALL dans un communiqué. Bestseller a déclaré qu’elle allait dialoguer avec les parties prenantes concernées et réaliser une «étude d’impact» pour évaluer comment ses activités affectent les droits de l’homme. Pendant ce temps, un représentant du Gouvernement d’unité nationale (NUG) et un diplomate de haut rang de l’Union européenne ont déclaré à Frontier que le gouvernement fantôme avait exhorté l’UE à ne pas retirer son accord «Tout sauf les armes» (TSA) avec le Myanmar. L’accord TSA permet aux pays en développement d’exporter sans droits de douane ni quotas des marchandises vers le marché de l’UE, mais il est assorti d’exigences en matière de droits de l’homme. Ce que le Myanmar ne remplit manifestement plus. Toutefois, nombreux sont ceux qui pensent que la suppression de ce dispositif aura peu d’impact sur la junte et qu’elle ne ferait que nuire aux travailleurs déjà plongés dans une situation difficile.

Le NUG ne souhaite pas que les choses restent en l’état. Il y a quelques jours, il a désigné huit entreprises qui, selon lui, participent à des «investissements illégaux» et les a prévenues qu’elles pourraient être poursuivies. Peu après le coup d’Etat, l’opposition avait déclaré qu’elle considérerait comme illégales toutes les opérations commerciales approuvées par la junte. Bien que cette position reste officielle, elle a été un peu assouplie en ciblant des projets et des entreprises spécifiques. Cette liste comprend cinq entreprises étrangères et trois entreprises nationales, dont quatre dans le secteur de l’énergie.

Pendant ce temps, le Royaume-Uni a imposé des sanctions contre l’acolyte militaire et marchand d’armes Tay Za. Il avait déjà fait l’objet de sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis sous le précédent régime militaire pour les mêmes raisons. Le Royaume-Uni a également sanctionné ses entreprises du conglomérat Htoo Group. «Ces sanctions visent un associé commercial clé de la junte militaire, et son réseau d’entreprises pour avoir fourni un soutien financier et des armes à l’armée», a déclaré le Royaume-Uni dans un communiqué, qui l’a également accusé d’avoir contribué à financer les «violences» de 2017 contre les Rohingyas.

Appel à tous les mouchards

Le comité antiterroriste de la junte a publié une nouvelle déclaration exhortant les «dénonciateurs» et les «informateurs» à signaler les activités du comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw (le législatif), le Gouvernement d’unité nationale (NUG) et les forces de défense du peuple. Depuis qu’il a été publié dans le journal d’Etat Global New Light of Myanmar, samedi 28 août, il est également paru dans toutes les éditions suivantes.

«Il est essentiel que les gens travaillent ensemble pour éradiquer les actes de violence menaçant la sécurité de la population et suscitant des inquiétudes, ainsi que la dégradation de la dignité du pays et de la population» souligne la déclaration. Il énumère ensuite une série d’infractions qui, selon lui, peuvent faire l’objet de poursuites en vertu de la loi antiterroriste, notamment les activités non violentes telles que l’incitation à participer à des activités «terroristes», l’aide au recrutement, la production de propagande, l’hébergement d’un «terroriste», l’autorisation pour les «terroristes» d’utiliser un bâtiment ou le soutien financier. La phrase concernant la propagande est assez inquiétante pour les journalistes, car la junte pourrait facilement cibler tout média qui effectue un entretien ou écrit de manière positive sur les groupes interdits.

La déclaration indique que les informateurs peuvent faire des rapports anonymes, que les identités resteront confidentielles, que les informateurs ne seront pas interrogés, qu’ils bénéficieront d’une sécurité et qu’ils seront récompensés par de l’argent. Il est un peu absurde de ne pas interroger les informateurs ou d’exiger qu’ils témoignent, mais nous sommes bien au-delà de cela maintenant. Comme la plupart de ce genre d’initiatives de la junte, celle-ci risque en fait d’entraîner une augmentation plutôt qu’une diminution de la violence, en enhardissant les alliés des militaires tout en mettant les forces pro-démocratie encore plus à cran.

La violence des «groupes d’autodéfense», des deux côtés, s’est poursuivie dans tout le pays, avec l’assassinat de plusieurs informateurs présumés, dont un décapité dans le district de Taze à Sagaing. Sa femme a également été poignardée à mort dans un autre endroit. Autre incident notable, un directeur adjoint du Département pour le développement des zones frontalières et des ethnies nationales de la région de Tanintharyi (au sud du pays, dans la péninsule Malaise) aurait été tué le 28 août, ainsi qu’un de ses assistants, ce qui a entraîné des arrestations massives.

Mais les membres de l’organisation pro-militaire Pyusawhti – nom d’un roi légendaire – étaient également actifs. Ils auraient tué le fils du président d’une association caritative locale et le père d’un policier participant au mouvement de désobéissance civile dans le district de Myingyan, dans la région de Mandalay. Au cours d’un autre incident, le fils d’un administrateur de village nommé par la junte et quelques compagnons auraient enlevé l’ancien administrateur dans le district de Khin-U à Sagaing. Il aurait été battu et remis à la police.

Certains Rohingyas sont vaccinés

Le ministère de la Santé de la junte a annoncé 22 168 nouveaux cas de Covid-19 et 752 décès, ce qui porte le bilan officiel à 15 600 morts. Mais un fait marquant ressort des statistiques gouvernementales: l’effondrement du taux de positivité, dû à une augmentation massive et inexpliquée des tests. Après environ trois semaines où les taux de positivité se sont stabilisés dans la fourchette des 20%, ils ont chuté à 16,1% samedi 28 août, 10,9% dimanche 29 août et 8,5% jeudi 2 septembre. Maintenant sont annoncés, régulièrement, environ 40 000 tests effectués par jour, ce qui représente une augmentation considérable par rapport à la moyenne précédente d’à peine 10 000. C’est un peu suspect, ne serait-ce que parce que la junte n’a apparemment même pas reconnu cette augmentation considérable, sans parler de l’expliquer.

L’autre grande nouvelle du Covid-19 est que le porte-parole de l’armée, le brigadier-général Zaw Min Tun, a déclaré lors d’une conférence de presse, vendredi dernier 27 août, que les Rohingyas seraient finalement vaccinés. Il a émis quelques messages contradictoires, les désignant par le terme péjoratif de «Bengali», utilisé pour sous-entendre qu’il s’agit d’immigrants illégaux, avant de dire «ils sont aussi notre peuple». Il s’agit probablement d’une tentative de lisser l’image de la junte sur le plan international, mais au moins, pour l’instant, il semble que la promesse ait été tenue.

Les éditions de jeudi et de vendredi du journal d’Etat Global New Light of Myanmar contenaient des articles sur les vaccinations dans les camps de personnes déplacées. L’article de jeudi montrait des photos d’une campagne de vaccination en cours dans le district de Pauktaw (Etat de Rakhine), affirmant que 1 480 personnes de cinq camps du canton, dont Nget Chaung, avaient été vaccinées. Vendredi 27 août, un article affirmait qu’un nombre indéterminé de résidents de 11 camps de la commune de Myebon (Etat de Rakhine) avaient reçu leur première dose. Un autre article affirmait que 12 personnes seulement avaient reçu leur deuxième dose dans le camp de déplacés de Kyauktalone, dans la commune de Kyaukphyu (Etat d’Arakan). Aucun des articles ne précise l’origine ethnique des personnes vaccinées, mais Nget Chaung et Kyauktalone sont connus pour abriter des Rohingyas. Et de nombreuses femmes photographiées en train de se faire vacciner dans l’article de jeudi portaient des coiffes musulmanes. Il serait néanmoins utile que la junte donne plus de détails, étant donné que de nombreux musulmans des ethnies Rakhine et Kaman ont également été déplacés par les combats.

Lettre d’information de Frontier publiée le 3 septembre 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre