Le 3 juin, le porte-parole de la junte birmane révélait que le régime prévoyait d’exécuter quatre condamnés à mort, dont deux prisonniers politiques de premier plan : l’ancien député de la Ligue nationale pour la démocratie, Phyo Zayar Thaw, et le militant pour la démocratie, Ko Jimmy. Tous deux ont été accusés de mener une résistance armée contre le régime militaire.
À première vue, la « promesse » d’exécuter des prisonniers politiques peut sembler anodine compte tenu des autres crimes odieux commis par l’armée. Des dizaines – voire des centaines – de personnes sont mortes durant leur détention par l’armée, portant souvent des traces de torture brutale. Les maisons de centaines de villages ont été rasées dans toute la campagne, où des soldats en patrouille exécutent aussi sommairement des civils. Il existe des preuves crédibles que de nombreuses victimes ont été brûlées vives. Même les enfants n’ont pas été épargnés : selon les données de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, au moins 147 enfants de moins de 18 ans ont été tués par l’armée depuis le coup d’État.
Un niveau supérieur de mépris
Mais dans tous ces cas, la junte a soit nié complètement avoir commis les crimes, soit les a imputés à la résistance, soit a cherché à justifier ses actions par la légitime défense. En procédant à des exécutions judiciaires, le régime tuerait ouvertement et fièrement au vu et au su de tous. Cela indiquerait un niveau supérieur de mépris quant à la façon dont il est perçu, tant dans le pays qu’à l’étranger.
Quatre morts peuvent sembler n’être qu’une goutte dans un seau rempli de sang, mais n’oublions pas qu’il y a plus de 70 personnes dans le couloir de la mort, dont deux ont moins de 18 ans, et des milliers en détention. Si les militaires procédaient à quatre exécutions, rien ne les empêcherait de tuer les autres ou de condamner à mort d’autres prisonniers politiques.
Le recours à la peine de mort est aussi symboliquement provocateur à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il s’agit d’une violation du premier précepte du bouddhisme, qui consiste à s’abstenir de tuer. Parmi les sept pays à majorité bouddhiste, le Cambodge, le Bhoutan et la Mongolie ont interdit la peine capitale, tandis que le Sri Lanka et le Laos l’ont inscrite dans leur législation mais ne l’ont pas appliquée depuis des décennies. Le Myanmar appartient également à cette dernière catégorie, la dernière exécution judiciaire confirmée remontant à 1977, même si l’on pense que d’autres ont eu lieu dans les années 1980. Le rétablissement de la peine capitale violerait ce qui est essentiellement devenu un tabou national et témoignerait d’un mépris pour la religion et la culture que l’armée prétend protéger. Parmi les pays bouddhistes, l’exception est la Thaïlande, qui a procédé à sa plus récente exécution en 2018.
« Erreur impardonnable »
Plus important encore, les exécutions judiciaires aggraveraient le cycle de violence en cours. La décision des militaires de confisquer le pouvoir a déclenché des campagnes de vengeances justicières, avec entre autres des assassinats commis à la fois par des groupes de résistance et des groupes pro-militaires. Des analystes ont averti que cette décision pourrait donner lieu à des violences communautaires motivées par la vengeance personnelle, qui seraient plus difficiles à contrôler que les conflits armés traditionnels. La Force de défense du Myanmar (Sagaing) s’est déjà engagée à répondre « œil pour œil » si les militaires procèdent aux exécutions prévues.
L’exécution d’éminents militants en captivité rendrait également les négociations futures – aussi improbables paraissent-elles aujourd’hui – beaucoup plus difficiles. C’est pourquoi le lieutenant-général Gun Maw, vice-président de l’Organisation pour l’indépendance du Kachin, a mis en garde la junte contre une « erreur impardonnable ».
Le fait de procéder à ces exécutions exprimerait certainement une fuite en avant désespérée de la junte. Pour donner à ses partisans les plus macabres quelque chose à célébrer, et pour montrer qu’elle a le contrôle – non pas en résolvant l’effondrement du système de santé, la pénurie de carburant ou la crise de l’électricité, mais en faisant la seule chose pour laquelle les militaires sont vraiment doués : tuer.
Traduction J.S.