L’Union européenne est aujourd’hui dans l’impasse. Mais il n’est pas exclu que, dans un contexte incertain, l’Allemagne, en association avec la France, ne fasse pas un effort volontariste pour inversaer partiellement la tendance.
Le 25 mars dernier a marqué le 60e anniversaire du traité de Rome qui a institué le Marché commun dont l’élargissement et l’approfondissement ont conduit à l’actuelle Union européenne. Et à partir du milieu des années 2000, le processus a commencé à patiner.
Face à la crise économique, les gouvernements ne sont encore capables de faire leur unité que pour mettre en œuvre l’austérité. En arrière-plan, le mythe de la convergence des économies et des niveaux de vie s’est effondré : l’économie allemande apparaît plus forte que jamais, l’industrie française recule, l’Italie est en stagnation, de nombreux secteurs de la société espagnole sont en perdition, etc. Les peuples sont de plus en plus sceptiques, face à une Europe qui semble se réduire à une mécanique austéritaire sur laquelle il ne semble y avoir aucune prise possible.
Dans ce contexte sont survenus en 2016 deux événements majeurs : le vote britannique pour le Brexit et l’élection de Donald Trump. Le premier illustre qu’une adhésion à l’UE n’est pas irréversible. Quant au second, il montre que la relation avec les États-Unis est susceptible d’entrer dans des eaux incertaines, alors qu’elle constituait, notamment pour l’Allemagne, une sorte de point d’amarrage auquel on pouvait toujours recourir en cas de besoin.
Par ailleurs, l’élection de Macron est également un facteur nouveau : les dirigeants français précédents menaient des réformes néolibérales et comprimaient les dépenses publiques, mais – au moins verbalement – ils plaidaient pour des inflexions. Macron semble décidé à ne pas reprendre cette forme d’hypocrisie : il lance d’emblée une réforme à marche forcée du droit du travail et annonce qu’il fera tout pour respecter le retour à un déficit des finances publiques inférieur à 3 % du PIB.
Nouveau départ ou esbroufe ?
Tout cela débouche sur le numéro de duettistes franco-allemands du sommet européen de la fin du mois de juin. Il en est sorti peu de décisions pratiques, mais certains éléments sont significatifs : les premiers jalons d’une Europe de la défense (ses capacités militaires et l’industrie d’armement sont un des rares terrains où la France a encore une position de force par rapport à l’Allemagne), ainsi que des jalons vers un contrôle de certains investissements et importations en provenance de Chine, et même une exigence de « réciprocité » avec les États-Unis (qui réservent largement les marchés publics à des entreprises américaines).
Par ailleurs, Macron, eu égard à la sensibilité sur la question en France, veut obtenir un encadrement un peu plus strict du travail détaché (sans en remettre en cause le principe). Des idées circulent aussi sur une coordination budgétaire. Macron a évoqué la préparation d’une « feuille de route pour les dix prochaines années ». L’« axe franco-allemand », qui a été moteur dans certaines phases de l’histoire de l’UE serait donc de retour ?
Comment interpréter ces événements ? Des décisions anecdotiques ? Ou bien un début de tournant ? Face à un monde de plus en plus incertain, il est vraisemblable que le gouvernement allemand pense que l’Allemagne ne serait pas en meilleure situation face aux États-Unis, à la Chine, etc. si l’Union européenne disparaissait ou se fragmentait trop. Ce serait le sens de la déclaration d’Angela Merkel le 28 mai dernier après le sommet du G20 : « Le temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres est en partie révolu. […] C’est pourquoi, nous les Européens, devons vraiment prendre notre propre destin. » Depuis des années, les dirigeants français, italiens, espagnols, etc. ont la même position.
Tout cela peut conduire la sphère dirigeante européenne à faire preuve de volontarisme pour essayer de donner un coup d’arrêt à une désagrégation lourde de risques potentiels. Les mois qui viennent montreront s’il s’agit de sans-lendemain ou d’une véritable relance, au moins d’un « noyau dur » d’États. Une relance qui ne résoudrait pas la défiance de larges secteurs populaires face à une union qui semble ne conduire qu’à la catastrophe sociale.
Henri Wilno