Bafouant sa propre charte et niant le droit à l’autodétermination, le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni le 21 septembre, s’est dit préoccupé « face à l’impact potentiellement déstabilisateur » du référendum au Kurdistan irakien et a rappelé son « attachement continu pour la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité de l’Irak ».
L’ONU s’en tient ainsi au découpage territorial du traité de Lausanne de 1923, qui a privé les Kurdes d’un État et les a répartis entre l’Irak, la Syrie, l’Iran et la Turquie, quatre puissances régionales qui n’ont eu de cesse de les opprimer et de les massacrer lorsqu’ils se sont révoltés.
Inefficaces menaces
Al-Malaki, vice-président de l’Irak, et Erdogan, président-dictateur de Turquie, qui ne craint qu’une chose, qu’un État kurde indépendant en Irak ne fasse tache d’huile et ne légitime le combat des Kurdes pour leur émancipation dans son propre pays, ont multiplié les menaces, et, joignant le geste à la parole, massé leurs troupes aux frontières. L’Iran a décidé d’interrompre « tous les vols iraniens vers les aéroports d’Erbil et de Souleymanieh [les capitales administrative et culturelle du Kurdistan d’Irak] ainsi que tous les vols au départ du Kurdistan irakien transitant par l’Iran », selon l’agence officielle Irna, et de fermer sa frontière.
Mais rien n’y a fait. Au cours des dernières semaines, des dizaines de milliers de personnes ont participé à des rassemblements pour l’indépendance sur tout le territoire, et c’est massivement que les électeurs kurdes d’Irak se sont déplacés lors du scrutin.
Soutien inconditionnel… mais critique
Notre soutien inconditionnel au droit à l’autodétermination n’est évidemment pas acritique vis-à-vis de la politique du « président » du Kurdistan d’Irak Massoud Barzani, qui a initié le processus référendaire au mois de juin. Son mandat est arrivé à échéance en 2015, et il se maintient au pouvoir en toute illégitimité. Chef historique du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), il poursuit la politique clanique et clientéliste de son père et de son grand-père, au service d’une bourgeoisie kurde qui a fait main basse sur la rente pétrolière en bonne entente avec les pétroliers impérialistes étatsuniens dont il sert les intérêts rubis sur ongle.
À l’évidence, le PDK tente de reprendre la main qu’il a perdue depuis 2014 face à son rival historique, le Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK) de Turquie et ses partis frères en Syrie (le PYD, Parti de l’union démocratique), qui s’est considérablement renforcé après sa victoire contre Daesh à Kobanê en janvier 2015 alors qu’à l’été 2014, quand Daesh massacrait les Yézidis du mont Shengal, s’emparait de Mossoul et menaçait Kirkouk, les troupes armées du PDK fuyaient les combats.
Un « petit Kurdistan » ?
La critique la plus virulente de ce référendum pour l’indépendance d’un « petit Kurdistan » en Irak (8 millions de Kurdes sur un total de 60 millions) est venue de Berwari, membre du Conseil exécutif du Congrès national du Kurdistan (KKN) : « Les frontières sont abolies dans les mentalités des populations kurdes. Mais quelques partis politiques au Kurdistan, notamment le PDK, renforcent les frontières dessinées par les accords Sykes-Picot. Le PDK approfondit la séparation centenaire en creusant des tranchées sur la frontière entre le Rojava [en Syrie] et le Sud [en Irak]. »
De fait, Barzani a tout fait pour empêcher la circulation des vivres et des combattants kurdes entre l’Irak et la Syrie. Et on ne voit pas comment il pourrait être le champion de la cause kurde quand, depuis mars 2015, il approuve et autorise les bombardements de l’aviation turque de son allié Erdogan sur les montagnes de Qandil, en Irak, base politique et militaire du PKK depuis son exil forcé de Turquie après les massacres des années 1990.
Alors oui au droit des Kurdes d’Irak à disposer d’eux-mêmes, mais aucune confiance à Barzani pour promouvoir leur réelle émancipation et pour défendre les droits de touTEs les Kurdes, où qu’ils soient.
Pierre Granet