Une « troisième Intifada » est-elle en cours ? Jusqu’à présent, les pronostics de ceux qui ont cru, au cours des dernières semaines, voir se dessiner un nouveau soulèvement massif de la population palestinienne, ont été invalidés : la « troisième Intifada » tant redoutée – ou souhaitée – n’a pas eu lieu...
Cela ne signifie pas, bien au contraire, que la révolte en cours dans les territoires palestiniens et en Israël n’est pas l’expression d’une exaspération collective avec aux avant-postes, comme toujours, les jeunes.
Génération spontanée ?
En effet, il faut être aveugle pour ne pas voir dans les événements de ces dernières semaines, qu’il s’agisse des manifestations, des affrontements avec l’armée d’occupation et les colons, ou des attaques à l’arme blanche, la traduction de la révolte et de l’insoumission de milliers de jeunes Palestiniens et Palestiniennes. La moyenne d’âge des victimes de la nouvelle vague de répression israélienne se situe en effet en dessous des vingt ans, et on a même pu voir des jeunes de treize ans tenter de poignarder des soldats, tout en sachant pertinemment qu’en commettant de telles actions ils seraient abattus...
À en croire certains commentateurs ou responsables politiques, ces jeunes seraient « manipulés », « instrumentalisés », et envoyés à la mort par des organisations ou des leaders désireux de se repositionner dans le champ politique palestinien en s’appuyant sur une « radicalisation » qu’ils auraient provoquée. On a ainsi pu lire, ici ou là, que tel imam, tel responsable du Hamas ou tel dirigeant d’un groupe armé, tirerait les ficelles des événements en cours. Certains sont même allés jusqu’à accuser le paisible Mahmoud Abbas d’inciter les Palestiniens à la violence…
On croit rêver, ou plutôt cauchemarder. Les jeunes qui se révoltent aujourd’hui et qui sont prêts à mourir plutôt que de subir en silence ne sont manipulés par personne. Ils se révoltent contre une situation d’oppression et d’injustice manifestes, et n’ont pas attendu les appels ou les consignes des responsables politiques palestiniens pour entrer en action. Bien au contraire : ces derniers courent en réalité après les événements et sont dans l’incapacité d’offrir un cadre structuré et des perspectives politiques (revendications, modalités d’action, etc.) à la jeunesse palestinienne.
Génération 2000
Les générations palestiniennes se succèdent et ne se ressemblent pas toujours. L’Intifada de 1987 a été l’expression du ras-le-bol d’une génération qui n’avait connu que l’occupation. Le soulèvement de septembre 2000 fut en grande partie celui des désillusionnés du « processus de paix ». La génération qui s’exprime aujourd’hui est la « génération 2000 », qui n’a pas connu les années 1990 et la chimère du « processus de paix », qui n’a pas participé au soulèvement de septembre 2000 et qui n’est pas imprégnée des traditions politiques qui ont longtemps matricé la société palestinienne.
D’où le caractère spontané et désorganisé du soulèvement en cours, mais aussi son caractère explosif : ces jeunes sont sans avenir et sans espoir et, n’ayant rien à perdre, ils sont prêts à aller loin, très loin – jusqu’à la mort. À une ou deux exceptions près, aucun des jeunes qui ont mené des attaques à l’arme blanche n’était membre d’une faction politique, et aucun d’entre eux n’a tenté, à l’instar des auteurs d’attaques-suicides dans les années 1990 et 2000, d’enregistrer ou d’écrire un message expliquant les motivations de son acte. Voilà qui devrait faire réfléchir ceux qui veulent voir derrière chaque jeune Palestinien la main de telle ou telle organisation – forcément « jihadiste » : la génération 2000 ne rend de comptes à aucune faction ou aucun leader politique, et elle a même tendance à bousculer le « vieux » mouvement national palestinien.
En effet, s’il est difficile de prévoir les développements à venir, nul doute que le soulèvement en cours laissera des traces : au sein de la société palestinienne tout d’abord, dans laquelle certains voient d’un très mauvais œil cette nouvelle séquence d’affrontements, peu propice aux affaires, qu’elles soient économiques ou politiques ; au sein du mouvement national palestinien ensuite, qu’il s’agisse du Fatah ou du Hamas, qui apparaissent plus que jamais en décalage avec les aspirations des franges les plus mobilisées de la jeunesse ; au sein de la génération 2000 enfin qui, si la répression se poursuit et s’intensifie, pourrait se radicaliser davantage encore et passer à la vitesse supérieure, sans demander l’autorisation à quiconque et sans tenir compte des avis hypocrites de ceux qui les enjoignent de faire preuve de « calme » et de « patience ».
Julien Salingue