Publié le Jeudi 16 juin 2011 à 14h34.

Pour les indignés espagnols: « solo es el principio », ce n'est qu'un début...

L'existence de l'Acampada de Sol, symbole et QG du mouvement du 15 Mai à Madrid, répondait à cinq objectifs principaux, mis en place en vue de lutter contre l'absence de démocratie politique et économique: visibiliser en permanence le mouvement, constituer un point de centralisation du mouvement, créer un lieu de réflexion et de convergence des initiatives sociales autant que de réinvention du vivre-ensemble, action permanente non-violente, et la revendication d'un droit au logement et à la la prise de l'espace public.

Tous ces objectifs semblent avoir été remplis, les concentrations sur la place de Sol ayant atteins plus de 50 000 personnes, des centaines d'assemblées ayant eu lieues, la vie a Sol ayant été à l'origine de la formation d'une véritable contresociété, formulant des propositions dans le domaine politique et économique en rupture avec les orientations prises par la classe politique espagnole. Mais après trois semaines d'existence, se pose la question de la continuité d'une telle expérience: d'une part, le mouvement à centralisé à outrance les initiatives à Sol, formant une part d'ombre sur les autres initiatives, d'autre part, l'image dont dispose le mouvement du 15-M, très positive du reste, reste très fortement rattachée à son campement, alors que celui-ci n'était censé constituer qu'un moyen, et non une fin. Enfin, l'essentiel des débats tendent à se polariser autour de la gestion du campement, au détriment des moyens d'actions, des débats de fond ou de l'efficacité même du mouvement. 

C'est ce qu'on bien compris les indignés il y a plusieurs semaine en proposant une « restructuration du campement », ouvrant la voie à une réflexion sur la continuité du mouvement par d'autres moyens. Dimanche dernier, les indignés ont donc décampés de la place de Sol. Une page est tournée. Que signifie ce retrait ? Est-ce la fin du mouvement ou une véritable réorientation ? Quelles sont les perspectives qui s'ouvrent à ce mouvement ? 

Il est peu probable que l'on assiste pas à la fin du mouvement. Nous pouvons au contraire parler d'un réajustement stratégique, qui permet de visibiliser d'autres facettes du mouvement comme les assemblées de quartiers, qui se sont enracinées, et les voies politiques plus « radicales » mais en même temps plus classiques qui se mettent en place: actions, manifestations, blocages...Le travail des commissions est bel et bien réel, celles-ci vont se déployer vers une multitude de lieux, parmi lesquels les centres sociaux très actifs en Espagne. Un baraquement en dur a été construit sur la place de Sol pour garder un point d'ancrage central, notamment pour la communication et l'information. Plusieurs campements ont été montés au niveau des quartiers, on parle d'un campement itinérant...

La très faible politisation de la majorité des indignés était tout à la fois la force et la faiblesse principale de ce mouvement. La force politique d'un slogan comme « cette crise nous ne la paierons pas », ou « ils ne nous représentent pas » à été la clé de l'entrée en dissidence de milliers d'Espagnols, qui se sont sentis concernés par cette rupture idéologique. Cette forte aspiration à la récupération du débat politique a été conjuguée avec une très forte marque d'ouverture de la part des indignés, qui ont voulu impliquer toutes les catégories dans leur mouvement, sans préalables idéologiques ou sociaux. Ce fut la force du campement, d'impliquer tout un chacun avec ses compétences, ses idées, ses volontés. Sa faiblesse est due à un postulat d'égalité entre tous, qui juge des différents problèmes au consensus total, Une sorte d'auto-contemplation s'est mise en place, auto-centrée sur la vie du camp, qui oubliait progressivement les problématiques externes, notamment la stratégie à mener pour faire aboutir les objectifs de changement qu'il s'était fixé.

Aujourd'hui, cette génération politique qui s'est construite en dehors, et parfois même contre les voies de politisation traditionnelles a mûrit, s'est installée dans le paysage politique. Elle est une donnée très importante de l'alternative politique à venir. Elle a réussi à délégitimer en grande partie la politique institutionnelle et la « classe d'en haut », et commence aujourd'hui à regarder de plus près comment imposer ses revendications, comment offrir une réelle alternative politique. Elle rentre en cela dans une dynamique de rapport de force qui n'existait pas avant. Au nombre des perspectives qui se dessinent et qui devront constituer un pont entre le mois de Juin et la rentrée, nous pouvons citer les assemblées de quartiers, l'entrée dans une nouvelle confrontation stratégique et la mise en place d'une permanence en vue de la remobilisation à la rentrée 2011.

Les assemblées de quartier ont commencées il y a maintenant 3 semaines, lorsque les indignés ont souhaité décentraliser les assemblées et ouvrir des espaces de discussion et d'extension du mouvement à l'échelle la plus basse: dans les quartiers, tous les quartiers. Ce fut une réussite très importante: 50 000 personnes se sont réunies en une journée pour un total de 150 assemblées dans la communauté de Madrid. Les quartiers ont veritablement repris en charge le mouvement, en copiant parfois les structures de Sol, en mettant aussi en place leurs propres structures. Une coordination s'est crée, et cela a pu pousser le mouvement à sortir de sa paralysie, car quitte à se rassembler, autant que ce soit pour proposer actions et idées politiques. Elles ont sorti Sol de sa léthargie. Ainsi, aujourd'hui se créent des embrayons de double-pouvoir, à la base, qui vont avoir un rôle très important à jouer les semaines à venir.

La deuxième dynamique, qui est profondément liée, et celle de l'accélération du passage à un véritable rapport de force, signe d'une maturation politique plus que d'un détachement des éléments les plus radicaux. Les indignés ont pris le pari de construire une série de mobilisations spécifique, à travers des moyens plus proches du répertoire ouvrier traditionnel, pour augmenter le rythme du mouvement: manifestations devant la mairie de Madrid – ce fut la première confrontation avec la police-, devant le ministère des Affaires Sociales, de la Santé, devant le Parlement. Une grosse manifestation qui devra montrer la détermination et la force du mouvement est en préparation depuis quelques semaines: le 19 Juin sera une date très importante qui pourra marquer l'entrée du 15-M dans une nouvelle phase, capable de traverser l'été. Elle devra être coordonnée à l'échelle internationale pour imposer une sortie de crise allant dans les intérêts des peuples, et affirmer qu'après les printemps Arabes et espagnols, nous aurons le droit à un Automne Européen.

Le départ de ce qui a constitué le poumon du mouvement des indignados ne peut pas évacuer le problème de la démobilisation pendant les vacances. C'est pour cela que l'on parle d'un campement itinérant tout au long de l'été, associé à une permanence des groupes de travail et de la Coordination (nationale et locale), et une remobilisation par la plateforme Juventud Sin Futuro dans les universités, et espérons-le par le mouvement syndical dans les entreprises, qui ont tous d'or et déjà comme tâche de préparer la reprise du bras-de-fer en Septembre. Aujourd'hui, nous sommes peutêtre en train de passer d'un happening permanent, symbole vivant d'une indignation face à la crise, à un mouvement social d'ensemble qui serait en mesure de jouer un véritable rôle de contre-pouvoir