La singularité de la guerre initiée par Israël sur la bande de Gaza après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 continue de montrer l’énorme asymétrie militaire et opérationnelle entre Israël et les palestinienNEs sous occupation. Dans cet affrontement asymétrique entre un occupant et une population colonisée, l’aide extérieure est centrale pour peser sur le rapport de force, pour améliorer la vie des PalestinienNEs et, à terme, donner l’espoir d’une solution pérenne qui respecte leurs droits.
Vue d’Europe, cette solidarité doit pouvoir se manifester de manière massive tant le soutien européen est important pour la classe dirigeante israélienne. Juste après les USA, l’Europe est un acteur majeur du soutien à la colonisation. Il faut également développer la solidarité pour éviter le sentiment d’impuissance et de frustration, surtout face aux images terribles de purification ethnique à Gaza et en Cisjordanie. Un tel sentiment de frustration et de colère devant l’horreur quotidienne doit pouvoir trouver une traduction politique de soutien et de solidarité.
Soutien politique effectif
La brutalité de la guerre menée par Israël a eu pour réponse un mouvement de solidarité international : plusieurs centaines de milliers de manifestantEs dans des dizaines pays, y compris dans le monde arabe, ont défilé pour l’arrêt des bombardements sur Gaza. Ces actions avaient pour objectifs de visibiliser la cause palestinienne, de développer les réseaux de solidarité, de mettre en avant les voix palestiniennes et de créer ce fameux rapport de force. Il est important de desserrer l’étau contre les interdictions et les harcèlements qui pèsent ou ont pesé sur Salah Hamouri, Rima Hassan, jusqu’à l’épisode honteux de l’expulsion de Myriam Abu Daqa.
Les voix palestiniennes sont étouffées ici, mais aussi en Israël et sur la scène internationale. Cela montre la nécessité de la diffusion des différents rapports palestiniens publiés sur l’arpatheid, sur la situation en Palestine et sur la caractérisation d’Israël comme État d’apartheid. Ce travail avait été effectué par les associations palestiniennes, et le fait d’être relayées par des ONG reconnues – notamment Amnesty International – a permis de donner une audience internationale à la situation palestinienne. Il faut donc faire la publicité large de ces rapports, qui contribuent à affaiblir la position dominante d’Israël ainsi que sa légitimité.
D’ailleurs, l’État israélien a déclenché des attaques sur les associations palestiniennes de droits humains, dont Al Haq et Addameer. Cette dernière est une association de soutien au prisonniers palestinien dont Salah Hamouri était l’un des avocats : la mobilisation pour sa libération ainsi que contre sa déportation sont des éléments essentiels de la solidarité. Salah est une voix importante de la lutte en soutien aux prisonnierEs palestinienNEs et contre la colonisation. Il existe plusieurs campagnes de soutien international aux prisonnierEs palestinienNEs, notamment les enfants, car Israël est le seul pays au monde à juger devant des cours militaires et à emprisonner des mineurEs1. Chaque année, entre 500 et 700 enfants comparaissent devant les tribunaux militaires sans aucun respect de leurs droits fondamentaux à un procès équitable.
Une autre forme de solidarité concrète permet de créer des liens avec d’autres mouvements : la lutte contre le mur d’apartheid dressé par Israël en Cisjordanie et contre la barrière autour de Gaza rejoint les luttes actives contre le mur étatsunien érigé sur les terres indigènes à la frontière avec le Mexique, contre le mur de 2 700 km construit par le Maroc au Sahara occidental, contre ceux de Ceuta et Melilla, ou encore contre le « mur » meurtrier qu’est devenue la Méditerranée sous Frontex.
Blocage des usines d’armement
Workers for a Free Palestine est un réseau de syndicalistes actifVEs dans les principaux syndicats britanniques qui s’est formé en réponse à l’appel de syndicalistes palestinienNEs : leurs militantEs ont bloqué en novembre une usine d’armement gérée par BAE Systems à Rochester, en Angleterre. Un flux constant de composants pour les avions militaires utilisés par la force d’occupation israélienne à Gaza quitte le site de Rochester, où BAE Systems produit des systèmes d’interception pour les avions de combat F35 et des composants pour les avions de combat F162. L’entreprise d’armement israélienne Elbit Systems, est très régulièrement bloquée en Angleterre : c’est une cible prioritaire de la campagne BDS. De la même manière, les livraisons d’armement pour la guerre sur Gaza peuvent aussi être bloquées, comme l’ont montré les dockers du port de Gênes en bloquant l’entrée du port. À Dartmouth, des militantEs et sympathisantEs ont bouclé les entrées de GeoSpectrum, une filiale d’Elbit Systems. Des syndicalistes ont empêché le chargement d’une livraison de l’entreprise ZIM à Narm/Melbourne, et d’autres ont fermé temporairement le site de fabrication d’armes de Colt à West Hartford, Connecticut. Des travailleurEUSEs d’Airbus, Getafe en Espagne, ont manifesté à l’intérieur de l’usine avec une banderole proclamant : « Les travailleurEUSEs Airbus sont solidaires de la Palestine, non aux ventes d’armes à Israël »3.
Des syndicalistes et des militantEs ont manifesté devant la mine exploitée par Israel Chemical Limited (ICL). ICL fournit Monsanto (maintenant Bayer) en phosphate pour la production de phosphore blanc, vendu ensuite à Pine Bluff Arsenal (PBA) qui assemble les composants. Des syndicats représentant touTEs les travailleurEUSEs du port de Barcelone ont signé l’appel des syndicats palestiniens, déclarant qu’ils et elles ne transporteraient pas d’armes en direction Israël et demandaient un cessez-le-feu immédiat. En France, Exxelia, un équipementier militaire qui a pignon sur rue, fournit l’armée israélienne. Lors des bombardements de 2014, une famille de Gaza a trouvé un composant venant de cette compagnie et a intenté une action en justice en 2016. Les premières auditions ont eu lieu cette année (7 ans après la plainte) pour étudier les poursuites4. La pression sur les usines d’armement ou d’équipement d’armement devra s’accentuer pour obtenir un véritable embargo militaire, réclamé par les ONG palestiniennes.
La flottille Mavi Marmara
En mai 2010, une flottille baptisée Mavi Marmara, composée de six navires civils transportant 750 activistes de 37 pays, est partie d’Istanbul à destination de Gaza pour briser le blocus israélien, transportant également 10 000 tonnes de vivres, de médicaments, de vêtements, de maisons préfabriquées et d’aires de jeu pour enfants, notamment. À l’aube du 31 mai 2010, les commandos israéliens ont abordé par hélicoptère et dans les eaux internationales le Mavi Marmara, navire amiral de la flottille. Les commandos ont ouvert le feu, tuant neuf militantEs et faisant de nombreux blesséEs. Une attaque meurtrière contre une flotte pacifique qui s’est effectuée dans les eaux internationales avec l’arrogance et l’impunité qui sont les marques de fabrique d’Israël. Cette flottille et les méthodes utilisées pour la contrer ont montré que ces actions de solidarité concrètes organisées par en bas, en dehors des accords entre États, avec pour objectif d’affronter le blocus, était une stratégie qui mettait en péril la légitimité d’Israël. Le coût humain a été hélas bien trop élevé, et nous réclamons toujours justice après la mort de ces militantEs. D’ailleurs, le mémorial Mavi Marmara célébrant cette action et installé à Gaza a été démoli par l’armée israélienne lors de son incursion en novembre 2023.
Soutien au boycott et à la campagne BDS
Une autre méthode de solidarité concrète repose sur le soutien à la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanction) lancée par la société civile palestinienne en 2005. Composée de plus de 170 organisations palestiniennes, elle représente largement la société palestienne et a pour but d’imposer des sanctions directes à Israël tant que l’apartheid et l’occupation seront en place. Cette campagne de boycott – à l’image de la lutte en Afrique du Sud – allie action individuelle et personnelle « facile » à mettre en place par le boycott des produits israéliens ou distribués par des entreprises qui soutiennent la colonisation et des actions de pression sur certaines compagnies que la campagne BDS cible pour ses liens étroits avec l’apartheid : Puma, qui sponsorise les équipes de foot israéliennes ; Hewlett-Packard pour la logistique de surveillance – carte à puce, base de checkpoint – et le soutien informatique qu’elle fournit à Tsahal ; et surtout Carrefour, qui est devenu une cible privilégiée depuis son installation en grandes pompes en 2022 pour « augmenter le pouvoir d’achat des Israéliens » et qui vend ses produits dans les colonies illégales de Cisjordanie.
La campagne BDS a un succès international : elle est présente dans plusieurs dizaines de pays, notamment ceux du Sud global. Israël dépense annuellement 35 millions de dollars pour contrer BDS et blanchir son image. Lors de l’attaque d’octobre/novembre 2023 sur Gaza, plusieurs listes de produits à boycotter ont émergé, obligeant certaines compagnies à se positionner. Par exemple, la campagne menée – hors BDS – sur McDonald’s a eu un impact direct sur les ventes après que McDo Israël a annoncé donner des repas gratuits aux soldats. McDo international a dû publier un démenti pour indiquer que la société ne soutenait pas Israël. En 2011, la campagne BDS a été criminalisée en France, mais en 2021 la CEDH et en 2023 la cour de cassation ont validé la légitimité et la légalité de l’appel au boycott.
La campagne BDS peut aussi se décliner sous plein d’autres formes : boycott culturel, boycott universitaire et boycott syndical. Le soutien effectif des syndicats à la solidarité palestinienne et à la campagne BDS est encore un combat politique à mener.
La campagne BDS développe aussi les Espaces sans apartheid (ESA), qui s’engagent à ne pas soutenir l’apartheid, notamment israélien. L’Europe a des dizaines d’accords commerciaux avec Israël, sans aucune sanction : il est temps d’inverser cet état de fait et d’imposer des sanctions.
La lutte pour la justice en Palestine a besoin de ces solidarités directes pour se maintenir et se renforcer. Les pressions directes externes sur Israël permettent de desserrer l’étau et d’instaurer un véritable rapport de force à un moment où le peuple palestinien en a le plus besoin.