Publié le Lundi 8 février 2021 à 13h49.

Rapport Stora : un historien au service de Macron

Au moment où le gouvernement fait voter sa loi contre le « séparatisme » destinée, en particulier, à stigmatiser un peu plus une partie de la population de ce pays - les musulmanEs ou supposéEs telLEs -, Macron demande à un historien bien connu et spécialiste de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora, un rapport pour étudier les pistes d’une possible « réconciliation mémorielle » entre la France et l’Algérie.

Cent cinquante pages de compilation savante où tout est dit, mais rien n’est dit sur l’essentiel : la colonisation pendant 132 ans par l’impérialisme français, au terme de laquelle ce dernier a subi une humiliante défaite, n’a été qu’une suite de massacres, de tortures et de déportations de populations au nom de la grandeur de la civilisation française. Bref une suite de crimes contre l’humanité. Mais avant même que ce rapport ne soit publié, l’Élysée a fait savoir qu’il n’y aura ni excuses ni repentance ! Seulement des gestes symboliques qui n’engagent à rien et surtout pas à s’attirer les foudres des réactionnaires de tous bords, des nostalgiques de l’Algérie française et tout particulièrement de l’extrême droite dont il cherche à piétiner les plates-bandes avec une dérive de plus en plus autoritaire et raciste de son gouvernement.

Pas de  « mémoire commune » entre bourreaux et victimes !

Avec une fausse naïveté de courtisan du prince, Benjamin Stora, qui n’ignore rien de cette histoire puisqu’il a lui-même contribué, dans le passé, à sortir de l’ombre certains de ces crimes, laisse entendre qu’il y aurait une place possible pour une « mémoire commune» et consensuelle de cette sombre période entre les bourreaux et les victimes ! Une opinion partagée y compris par une certaine gauche, notamment par Alexis Corbière, un des chefs de file du Parti de gauche, interviewé à propos du rapport Stora : « Il faut créer les conditions d’un dialogue apaisé avec l’Algérie. C’est une colonisation très particulière avec 130 ans d’histoire commune […]. Il ne faut pas considérer que la République est le masque d’une vision colonisatrice » (Le Monde, 21 janvier 2021).

En fait, le rapport Stora est un « solde de tout compte » pour tous les crimes de l’impérialisme français ! Mais, comme le dit à juste titre un historien algérien Noureddine Amara, interrogé (le 29 janvier 2021) par Mediapart à ce sujet : « Notre guerre de libération n’a pas rompu un lien d’amitié à la France. Depuis 1830, la France n’était pas l’amie de l’Algérie ; elle en était l’occupant […]. Il faudrait que l’on m’explique ce tour de force philosophique par lequel les Algériens sont aujourd’hui cordialement sommés de marcher pas à pas avec la France parce que celle-ci, 132 années durant, après les violences meurtrières de la guerre de conquête, a réglé leur rattachement étatique à la France sous l’implacable loi de la dépossession, de la discrimination et des humiliations. »

De fait, Macron se situe dans la lignée de ses prédécesseurs, dont Stora salue avec la fausse candeur d’un « monsieur bons offices » qui traverse son rapport de circonstance les tentatives avortées d’ouvrir la voie d’un « dialogue franco-algérien », le candidat Macron allant jusqu’à parler - à Alger ! - de «  crimes contre l’humanité » pour se dédire prudemment en rentrant à Paris. Ces serviteurs loyaux de l’impérialisme français se sont payés de mots en parlant, au mieux, des « fautes » commises par l’État français en Algérie à un moment de leur quinquennat pour des intérêts principalement diplomatiques et économiques. Et ce, sans pour autant reconnaître vraiment la nature de ces « fautes » et tout en continuant à réserver en France un traitement raciste de citoyenNEs de seconde zone aux descendantEs des victimes des guerres coloniales, leur imposant dans les quartiers populaires une répression policière et judiciaire bien inspirée du « temps des colonies ».

En fait, ce coup de communication macroniste sonne comme une réponse cynique, non seulement aux mobilisations de la jeunesse des quartiers populaires pour réclamer plus de justice contre les violences policières et au mouvement décolonial pour le déboulonnement des statues des bourreaux de la colonisation, qu’on a connu en France ces derniers mois, mais également aux immenses manifestations populaires en Algérie de 2019 qui ont exprimé une volonté de reprendre le fil de leur histoire pour une véritable indépendance et de demander des comptes à ceux qui leur ont volé cette révolution. En s’appuyant sur la notoriété scientifique d’un historien reconnu, cette entreprise de mystification et de tentative de réécrire le « roman national » de la grandeur magnanime de la France, qui tend la main à ses victimes, est un signal pour exiger « la fin de la récréation » adressée justement à celles et ceux qui se battent pour la vérité et la justice - ces jeunes, pour la plupart descendantEs des victimes du colonialisme français. Un combat légitime que Stora tente de déconsidérer du haut de sa chaire et de sa morgue universitaires : « A l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées, surtout dans la jeunesse. » Autrement dit, un « travail historique » qui, en pleine campagne raciste contre le « communautarisme » et le « séparatisme », vise à empêcher toute révolte de la jeunesse issue d’immigration !

Colonialisme : des crimes contre l’humanité !

Ni excuses ni repentance dit Macron. Mais soixante ans après la fin de cette sale guerre, les victimes de la colonisation, AlgérienEs mais aussi FrançaiSEs d’Algérie et de Métropole qui ont subi et se sont battuEs contre cette barbarie, n’ont besoin ni de l’une ni de l’autre, mais de justice et de vérité : c’est-à-dire la reconnaissance définitive qu’il s’agit bien là de crimes contre l’humanité perpétrés pendant 132 ans, et qu’ils l’ont été afin de défendre les intérêts de l’impérialisme français, de la IIème à la Vème République. Un système colonialiste et raciste qui persiste encore, sous d’autres formes, dans les territoires et départements dits « d’outre-mer ». Et qui connaît son prolongement dans le racisme d’État d’aujourd’hui à l’encontre des populations racisées.

Oui, il faut que les archives des deux pays soient largement accessibles pour que les premierEs concernéEs et leurs héritiersE, et pas seulement les chercheurEs, se réapproprient leur histoire. Mais après des années de censure, la vérité même partielle a déjà éclaté au grand jour, grâce à des militantEs et des chercheurEs engagéEs dans le combat anticolonialiste, qu’il s’agisse des massacres en Algérie ou en France contre les AlgérienEs. Les mobilisations de ces jeunes dont parle Stora, sans jamais les désigner clairement, autour des commémorations, comme celles des massacres d’Octobre 61 ou de Mai 45, ne relèvent pas du « fantasme » mais plutôt d’une exigence de reconnaissance et de dignité.

Oui, il est temps de reconnaître officiellement la responsabilité des tortionnaires de l’armée française dans la disparition de milliers de combattantEs nationalistes algérienEs et interdire partout toutes les manifestations, musées et autres stèles commémoratives des assassins de l’OAS, coupables des meurtres d’AlgérienEs et de FrançaisEs qui s’opposaient à leur folie meurtrière, creusant délibérément une rivière de sang entre toutes les communautés.

Oui, il faut rendre hommage et ne jamais oublier tous les combattantEs algérienEs qui se sont battuEs pour leur dignité et l’indépendance de leur pays mais aussi celles et ceux qui en France et en Algérie, certes peu nombreux-euses, ont pris leur défense, des intellectuelEs connuEs comme Maurice Audin ou Gisèle Halimi mais aussi des femmes et des hommes de l’ombre, « porteurs de valises » du FLN, au mépris de leur vie, et des militantEs comme Fernand Yveton, militant du Parti communiste algérien, « pied-noir » ayant pris le camp de l’indépendance, condamné à mort et exécuté alors que le ministre de la Justice de la IVème République, farouchement hostile à cette indépendance – tout comme la social-démocratie d’alors -, était un certain François Mitterrand. Le même qui, à la tête d’un gouvernement « de gauche », appela, en 1982, à « en finir avec les séquelles des événements d’Algérie » en… amnistiant les généraux qui, en 1961, avaient organisé un coup d’État pour conserver l’Algérie dans le giron français !

Oui, il est temps de dire clairement que les milliers d’appelés qui ont perdu la vie ou sont revenus complètement détruits par les actes de barbarie qu’ils ont dû commettre ou être témoins ont été la chair à canon, sacrifiés sur l’autel de la rapacité de l’impérialisme français ! Sans parler des harkis, supplétifs de l’armée française, qui ont – pour tout remerciement – été parqués pendant des décennies dans des camps sordides en France et ont subi le même racisme d’État que les autres…

Justice et vérité !

Mais cette conquête de la justice et de la vérité n’a rien à voir ni avec la « paix des cimetières » ni avec une soi-disant « réconciliation mémorielle » invoquée par Macron. Et les blessures ne se refermeront pas tant que les choses ne seront pas dites. Mais elles ne seront pas dites par Macron et autres serviteurs des intérêts de l’impérialisme français qui n’accepteront aucune vérité qui jetterait une ombre sur son prestige, sa légitimité et ses intérêts !

L’histoire n’est pas neutre et elle peut être utilisée et détournée comme support à leur propre « roman national » par tous les gouvernements pour leurs propres intérêts. C’est à touTEs les oppriméEs et les victimes du colonialisme et de l’impérialisme des deux côtés de la Méditerranée d’écrire la leur, en se réappropriant les leçons des résistances du passé. La bataille mémorielle est un combat vivant qui fait partie de la lutte des oppriméEs pour la justice et la dignité. Elle est un enjeu crucial pour continuer le combat pour une société plus juste, débarrassée de la barbarie capitaliste et impérialiste.