Au mépris de toute équité, le président Erdogan et l’AKP semblent décidé à terminer la campagne pour le oui à l’amendement constitutionnel, en mobilisant toutes les opportunités offertes par l’État et grâce au contrôle du Duce turc sur les médias...
Quelques chiffres suffisent à rendre compte de l’énormité de la situation. Dans les vingt premiers jours du mois de mars, sur 17 chaînes télévisés, Erdogan et divers dirigeants de l’AKP ont bénéficié de 420,5 heures de passage à l’antenne en direct et le HDP... zéro ! Entre le 1er et le 22 mars, sur la chaîne publique Erdogan et le gouvernement ont eu droit à 4 113 minutes de diffusion, le parti républicain de l’opposition CHP 216 minutes, le parti d’extrême droite désormais soumis à Erdogan 48 minutes, et le HDP... une minute ! Rappelons qu’Erdogan avait il y a quelques mois annulé par décret l’obligation d’une égalité dans le passage à l’antenne des différents partis lors des périodes d’élection.
Répression pour les partisans du non
Alors que des cas de policiers distribuant des tracts du oui ont été signalé, l’atmosphère est bien entendu très tendue. S’il est possible de monter des stands et de tracter en faveur du non dans les grandes villes, cela s’avère beaucoup plus difficile dans les villes d’Anatolie où l’AKP est puissant. D’autant plus qu’Erdogan et sa clique ont jusqu’aux deux dernières semaines renforcé la polarisation en cours en identifiant les partisans du non à des terroristes et des traîtres à la patrie. Il y a eu de très nombreux cas d’agression envers des activistes du non, parfois même par arme à feu. Toutefois ce sont les partisans de droite du non qui sont le plus visé par la répression.
Le Saadet, le parti historique de l’islamisme turc dont l’AKP est une scission, s’est ouvertement déclaré pour le non. Si la direction du MHP d’extrême droite, dans le cadre de son alliance avec l’AKP, opte pour le oui, il semblerait que près des deux tiers de sa base vont désobéir à cette consigne afin de s’opposer à l’instauration d’un régime fait sur mesure pour Erdogan. Dans la base même de l’AKP, le pourcentage d’indécis est aux alentours de 10 %. Soulignons d’autre part qu’il n’existe pas de front commun pour le non. Chaque groupe, parti, syndicat, association fait sa propre campagne, en essayant de ne pas se marcher sur les pieds. Il s’agit donc d’une sorte de front dispersé.
Le vote kurde
Le HDP à l’ouest du pays mais surtout son parti-frère, le DBP dans le sud-est, concentrent toutes leurs forces à convaincre le peuple kurde d’aller aux urnes et à ne pas se désintéresser du devenir du régime turc après tous les ravages qu’il a créé dans la région. Selon Amnesty International, près de 500 000 personnes ont été déplacées en raison de la destruction de leurs villes. De plus, alors que des grèves de la faim de prisonniers politiques kurdes continuent depuis plus de 50 jours, 13 députés du HDP, dont ses co-présidentEs Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, sont toujours en prison, ce qui ne facilite pas le déroulement de la campagne. Toutefois, malgré la répression, la participation au Newroz, la fête nationale kurde, fin mars, a été spécialement nombreuse cette année, malgré tous les obstacles planifiés par les municipalités gérées désormais par des administrateurs (non élus) pro-régime. Et bien entendu, c’est la volonté du non qui a marqué ce Newroz.
Un des autres facteurs qui va peser sur les résultats du référendum va probablement être le choix des kurdes conservateurs, qui, mêmes très critiques à l’égard du PKK, ne vont probablement pas oublier la destruction de leurs villes et le massacre de voisins, jeunes du quartier ou membres de leur famille, par les forces de du régime.
Après la révolte de Gezi en 2013, après les élections du 7 juin 2015 dont les résultats auraient bien pu changer le sort du pays, c’est paradoxalement un troisième moment d’espoir et d’audace que représente actuellement la dynamique du non, quelles que soient ses conséquences et même si de violentes représailles se profilent à l’horizon. Malgré la répression et l’inégalité des ressources déployées, ainsi que l’affirmait dernièrement une activiste lors d’un comité, « c’est bien le non qui est le véritable héros de la rue »...
D’Istanbul, Uraz Aydin